Normes agricoles : Ne passons pas à côté des choses simples (Tribune)

 |  par Benoît Grimonprez, Professeur de droit privé à l’Université de Poitiers

Parmi les nombreux motifs d’exaspération des agriculteurs, il en un qui les accablent tous : l’inflation normative. Une complexité administrative qui serait aggravée par la surtransposition des normes européennes. Le gouvernement promet de simplifier la réglementation, mais sans dire sur quoi ni comment.

L’accumulation des normes en matière agricole est-elle une réalité ? Et si oui, comment s’explique-t-elle ?

Le spécialiste du droit rural ne peut que constater un déluge de règles, une densification impressionnante de l’appareil normatif. Encore faut-il s’entendre sur la notion de normes qui ne sera pas perçue de la même manière par un juriste et par un agriculteur. Le juriste tient compte de l’ensemble des règles applicables à un secteur socio-économique, là où le producteur voit les formalités qui occasionnent pour lui une gêne. Or, toutes les tracasseries administratives n’appartiennent pas forcément au registre des normes juridiques ; et toutes les normes juridiques ne sont pas sources de contrainte pour une entreprise. Si on prend le droit environnemental (qu’il faut dissocier de la politique agricole commune), malgré un fort ressentiment, il affecte modérément l’agriculteur (ex. plan de fumure, registre phytosanitaire) ou à l’occasion de certains projets (ex. irrigation). Ce type de norme est marginal par rapport à l’ensemble des exigences administratives et même commerciales qui mettent sous tutelle l’activité agricole.

La surproduction normative renvoie à une véritable culture réglementaire, qui n’est pas propre à la France, puisque les institutions européennes l’ont élevée au rang d’art. Qui a lu un règlement européen en est convaincu. Mais si elle émane formellement de l’administration, la réglementation est devenue une pièce essentielle de la logique de marché. J’ai pu constater, dans les secteurs agricoles et alimentaires, à quel point les grands acteurs économiques ont soif de réglementation sur de nombreux sujets pour sécuriser leurs activités. Des textes trop généraux, qu’il faudrait interpréter ou compléter par l’office du juge, les laissent sur leur faim. Tout doit être réglé au millimètre, ce qui grossit et défigure forcément les textes.

Il y a deux autres facteurs d’inflation normative qui sont propres à l’univers agricole. Le premier est la politique en silos. Les problématiques rurales sont si transverses qu’elles sont saucissonnées entre le foncier, le commerce, les aides économiques, la fiscalité, l’énergie, l’environnement, l’urbanisme, la santé… Toutes ces matières, accumulées, finissent par s’engorger et devenir illisibles. Le second tient aux nombreuses normes produites ou co-produites par les filières agricoles elles-mêmes. Les normes de commercialisation, notamment, sont fixées par les organisations interprofessionnelles. Idem pour les labels dont beaucoup sont cogérés par les producteurs. D’autres régimes, on le sait moins, sont aussi directement écrits ou négociés, pied à pied, par les représentants de la profession agricole. Cette réglementation sectorielle ne brille pas par sa clarté.

Est-il juste de dire, comme les représentants agricoles, que la France perd en compétitivité à cause de la surtransposition des normes européennes ?

Dans le domaine agricole, on ne peut pas conclure à un phénomène général de surtransposition des directives européennes. Certes, il est arrivé dans le passé que la France, par excès de précaution diront certains, retire du marché des pesticides dangereux (le diméthoate, les néonicontinoïdes…) avant que l’Europe ne le décide. Mais on oublie que, dans bien des cas, nous avons sous-transposé des textes justement pour épargner notre agriculture. Ce qui a valu à la France plusieurs condamnations par la Cour de justice de l’Union (CJUE, 11 sept. 2001, n° C-220/99 ; CJUE, 13 juin 2013, n° C-193/12), ou d’être mise en demeure de corriger ses textes par le Conseil d’État (CE, 26 juin 2019, n°s 415426 et 415431 : sur l’impératif européen de protection des personnes vulnérables contre les pesticides).

Ce qui génère aujourd’hui du trouble chez les producteurs est que la politique agricole commune, dans sa version de 2023, a été en partie renationalisée. Chaque État dispose de son propre plan stratégique national (qui atteint 900 pages en France !) pour octroyer les si précieuses aides. Les conditions, en particulier agro-environnementales, sont donc maintenant différentes d’un État membre à un autre. Toutefois, la France n’a pas fait montre d’une ambition écologique débordante en la matière qui ferait que les producteurs français seraient pénalisés par rapport à leurs voisins. Pèsent en réalité davantage dans la balance du ressentiment les normes sociales (salaires, cotisations) et fiscales qui, elles, sont très hétérogènes dans l’espace européen et font que nous avons sûrement des coûts de production plus élevés qu’ailleurs.

Au final, comment simplifier et répondre à la demande pressante des agriculteurs ?

Les sujets agricoles se complexifiant (sur la gestion de l’eau, les relations économiques, l’énergie, le carbone, les pesticides…), les normes sont fatalement amenées à devenir plus nombreuses, plus techniques, plus précises. Dès lors que les agents, spontanément, n’adoptent pas les comportements qu’attend d’eux la société, force est de poser des limites dans l’intérêt général. Plus nous conquérons de libertés, plus nous faisons de progrès technologiques, plus nous battons le rappel des normes.

Pour autant, il n’existe pas de fatalité à la dérive réglementaire actuelle. La situation s’améliorerait si l’on prêtait attention, non pas seulement à la quantité des textes émis, mais à leur qualité. La logique qui voudrait qu’on ne crée une norme que si on en supprime une est une logique de comptable, pas de juriste. Des textes mieux pensés et rédigés seraient aussi moins redondants, contradictoires, et bien plus courts et simples.

Un changement profond de politique consisterait à basculer dans une logique de résultats. Plutôt que de toujours réglementer des pratiques, on pourrait faire confiance aux agriculteurs dans leur capacité à atteindre certains objectifs fixés par la puissance publique (sur la biodiversité, la fertilité des sols, les produits utilisés). Cette nouvelle façon d’appréhender l’action publique responsabiliserait davantage les acteurs qui seraient libres des méthodes à employer. Elle serait aussi beaucoup plus rigoureuse qu’une réglementation pinailleuse, qui sert souvent de paravent au laxisme…

La décentralisation de la politique agricole contribuerait également à sa déréglementation. Les normes tombées d’en haut pourraient être remplacées par des normes venues d’en bas, c’est-à-dire des territoires, sous la forme, par exemple, d’un contrat global de transition. Dans l’idéal, on aurait des engagements collectifs pris par des groupements agricoles (ex. coopératives, chambres d’agriculture) sur des obligations juridiquement contraignantes, obligations que ces instances seraient ensuite chargées de faire respecter par chaque producteur individuel. Que la police et les contrôles s’opèrent en interne apaiserait grandement les tensions avec l’administration, en plus de faire faire des économies à l’État.


Vos commentaires

Plainte contre Mélenchon pour injure publique : sur quelle base et pour quel intérêt ?
Politique

Plainte contre Mélenchon pour injure publique : sur quelle base et pour quel intérêt ?

Mécontent de l’interdiction d’une conférence de la France insoumise à l’université de Lille, Jean-Luc Mélenchon aurait dressé un parallèle entre Adolf Eichma...
Conjoncture 2023 et perspectives 2024 en Martinique
Économie

Conjoncture 2023 et perspectives 2024 en Martinique

L'Institut d'Émission d'Outre-Mer (IEDOM-IEOM) a publié son rapport annuel sur la conjoncture économique ultramarine 2023 et les perspectives pour l'année 20...
Toujours plus de « Tanguy » en France
Société

Toujours plus de « Tanguy » en France

La Fondation Abbé-Pierre dénonce les loyers trop élevés pour permettre aux jeunes adultes de quitter le foyer familial. Selon elle, 1,3 million de jeunes sal...
Biélorussie : Loukachenko plus que jamais au pouvoir ?
Europe

Biélorussie : Loukachenko plus que jamais au pouvoir ?

Le chef d’État biélorusse Alexandre Loukachenko a déclaré qu’il se présenterait à nouveau à l’élection présidentielle de son pays en 2025, a rapporté dimanch...
Guterres exhorte Israël et le Hamas à « faire preuve de courage politique » et à parvenir à un cessez-le-feu
Monde

Guterres exhorte Israël et le Hamas à « faire preuve de courage politique » et à parvenir à un cessez-le-feu

Le Secrétaire général de l'ONU a réitéré mardi son appel à Israël pour qu'il mette fin à toute escalade à Gaza, alors que des informations indiquent que ses ...
Et si le cancer était guéri pour toujours ?
Santé-Environnement

Et si le cancer était guéri pour toujours ?

Le cancer est la première cause de décès chez l'homme et la deuxième chez la femme. En 2023, Santé publique France a recensé 433 000 nouveaux cas de cancer, ...
Un nouveau prix pour « La couleur de l'esclavage » au Festival du film international de Nice
Culture

Un nouveau prix pour « La couleur de l'esclavage » au Festival du film international de Nice

Patrick Baucelin était de passage à Nice pour défendre son dernier film. Et un prix de plus pour le réalisateur martiniquais. Ça n'en finit pas pour Patrick...
La Yole Ronde de Martinique à l'arrivée de la flamme olympique à Marseille
Sports

La Yole Ronde de Martinique à l'arrivée de la flamme olympique à Marseille

Le 8 mai denier le monde entier avait sans doute les yeux braqués sur le Belem. Et pour cause, le navire mythique était porteur de la flamme olympique, amena...
Martinique : le docteur Serge Châlons est décédé à l'âge de 71 ans
People

Martinique : le docteur Serge Châlons est décédé à l'âge de 71 ans

Pédiatre et nutritionniste, Serge Châlons était aussi un militant très engagé dans la lutte contre l'empoisonnement à la Chlordécone. Au lendemain de son déc...

Veuillez activer le javascript sur cette page pour pouvoir valider le formulaire



©2021 Patmédias, tous droits réservés - Réalisation agence web corse

Haut de page
  • ►Sur le plateau de TF1, diffuseur officiel de l'Euro, le sélectionneur des vice-champions du monde a mis fin au suspense quant aux noms des internationaux qui composent sa liste pour tenter de glaner un nouveau titre continental 20 ans après les héros de 2000, 40 ans après ceux de 1984.

  • ►25 éléments sont convoqués pour participer au championnat d'Europe cet été en Allemagne (14 juin-14 juillet) avec un rendez-vous dès le 17 juin contre l'Autriche à Düsseldorf.

  • ►Si les cadres habituels qui composent le noyau dur cher au sélectionneur sont présents derrière le duo Mbappé-Griezmann, tous les regards étaient tournés vers les surprises possibles. À ce petit jeu, Bradley Barcola, auteur d'une deuxième partie de saison étonnante avec le PSG, sera de l'aventure.

  • ►La plus grande surprise est le retour étonnant d’un champion du monde 2018. N’Golo Kanté (33 ans, 53 sélections), plus vu avec le maillot bleu depuis le 3 juin 2022.

  • ►Les « blessés » Mike Maignan, Aurélien Tchouaméni et Kingsley Coman, un temps incertains, sont présents. Pour rappel, Didier Deschamps a jusqu'au 7 juin pour livrer sa liste définitive, ce qui lui laisse du temps pour observer l'état de forme de ses trois éléments.

  • ►Depuis lundi, les habitants de Nouméa et des alentours vivent dans la crainte d’être pris pour cible par les émeutiers qui ont incendié des maisons, pillé et saccagé des magasins.

  • ►90% du territoire français en alerte. Ce jeudi 16 mai, le site «Vigilance moustiques» a dévoilé sa cartographie de la présence du redouté moustique tigre pour l'année 2024. Selon cette publication spécialisée, près de 90% du territoire se retrouve sous une vigilance allant du rouge au pourpre, signalant ainsi une préoccupation majeure.

  • ►La cour d’appel de Paris a confirmé ce jeudi le non-lieu visant les gendarmes qui avaient interpellé Adama Traoré, ce jeune homme mort en juillet 2016 dans le Val-d’Oise à l’issue d’une course poursuite, a-t-on appris auprès des avocats des parties. Les juges d’instruction avaient prononcé fin août 2023 un non-lieu en faveur des trois gendarmes auteurs de l’interpellation.

  • ►Il s’appelait Arnaud Garcia, avait 34 ans et allait devenir papa dans quelques mois. Le trentenaire est l’un des deux agents froidement et lâchement exécutés par plusieurs hommes armés lors de l’attaque d’un fourgon pénitentiaire, mardi 14 mai dans l’Eure. L’assaut a permis l’évasion d’un détenu, Mohamed Amra.

  • ►La justice doit trancher ce jeudi 16 mai sur le non-lieu prononcé en septembre dernier, en faveur de trois gendarmes, dans le cadre de la mort d’Adama Traoré survenue le 19 juillet 2016 dans la caserne de Persan (Val-d’Oise). La famille du jeune défunt avait fait appel.

  • ►Sur RTL, Jean Castex, ancien Premier ministre et président-directeur général de la RATP, écarte l'idée d'une potentielle grève des agents de la RATP pendant les Jeux. "Notre état de préparation et de mobilisation est maximum", a-t-il assuré.

  • ►Le nombre de jeunes adultes hébergés chez leurs parents, principalement des étudiants, a augmenté de 250.000 entre 2013 et 2020, selon une étude de la Fondation Abbé Pierre (FAP) publiée ce jeudi 16 mai. Environ 4,92 millions d'adultes vivaient chez leurs parents en 2020 contre 4,67 millions en 2013, en majorité des 18-24 ans (+13,5%).

  • ►Le chef du gouvernement slovaque Robert Fico a été blessé par un tir et transporté à l’hôpital. Selon le gouvernement de ce pays d’Europe centrale, il se trouve actuellement entre la vie et la mort.

  • ►Des interfaces trompeuses et des produits plus chers qu’annoncé. Des associations européennes de consommateurs ont annoncé ce jeudi 16 mai avoir porté plainte contre la plateforme chinoise de commerce en ligne Temu, accusée de manipuler les internautes et de violer plusieurs dispositions du règlement de l'UE sur les services numériques (DSA).

  • ►Le prestidigitateur américain David Copperfield, star des années 1990, est accusé de violences sexuelles par seize femmes, dont certaines étaient mineures au moment des faits qu'elles dénoncent, rapporte mercredi le journal britannique The Guardian.

  • ►Big Flo & Oli vont porter la flamme olympique Vendredi 17 mai 2024, lors de son passage à Toulouse.