Reconnaître la Palestine ? Observations sur les fonctions de la reconnaissance en droit international

 |  par Rédaction Patmedias avec Romain Le Boeuf (Professeur à l’Université Aix-Marseille)
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Le Président de la République Emmanuel Macron a récemment déclaré que la reconnaissance de l’État de Palestine « n’est pas un tabou pour la France » (LeMonde.fr, 16 février 2024). Cette affirmation s’inscrit dans une série de déclarations analogues de plusieurs responsables politiques européens. La question de la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État est au cœur du conflit israélo-palestinien depuis 1948, tout comme l’est la reconnaissance d’Israël par l’ensemble des États arabes. Ce débat récurrent ne cesse toutefois pas d’intriguer du point de vue du droit international.

Il suggère en effet que l’existence de la Palestine dépendrait de sa reconnaissance, ce qui n’est pas le cas. En effet, et contrairement à une idée tenace, la reconnaissance n’est pas une condition d’existence de l’État en droit international. Ses fonctions sont limitées, et la question du statut — actuel et futur — de la Palestine doit être envisagée indépendamment des positions exprimées par les uns et les autres, à partir d’éléments objectifs.

Les conditions d’existence de l’État en droit international

Parmi les multiples fonctions exercées par le regretté Robert Badinter, il convient de rappeler celle de Président de la Commission d’arbitrage de la Conférence pour la paix en Yougoslavie. Cette commission avait été instituée afin de fournir un cadre juridique au règlement du conflit qui s’est déroulé dans les Balkans à partir de 1991 et jusqu’à la conclusion des accords de Dayton en 1995. La Commission a rendu 10 avis portant sur les conditions d’apparition des nouveaux États sur la scène internationale. Dès son premier avis, rendu le 20 novembre 1991, la commission a rappelé les principes fondamentaux régissant la question. Elle rappelle que la question doit être décidée « en fonction des principes du droit international qui permettent de définir à quelles conditions une entité constitue un État ». L’existence d’un État ne dépend donc ni de sa seule aspiration à exister, ni des conditions que les autres États pourraient prétendre imposer à partir de leurs ordres juridiques nationaux.

La Commission précise alors que « l’État est communément défini en droit international comme une collectivité qui se compose d’un territoire et d’une population soumis à un pouvoir politique organisé » et « qu’il se caractérise par la souveraineté ». Cette définition est largement admise par la doctrine et s’inscrit dans le prolongement de celle donnée par la convention de Montevideo en 1934, qui avait précisément pour but de contenir les abus inhérents à une conception exclusivement politique de la reconnaissance. De cette définition, il résulte qu’un État existe à partir du moment où il réunit effectivement les éléments constitutifs que sont le territoire, la population et le gouvernement. La reconnaissance, en tout état de cause, ne figure pas parmi les éléments constitutifs de l’État.

Les fonctions de la reconnaissance en droit international

Cette absence de caractère constitutif de la reconnaissance confirme la position adoptée par l’Institut de droit international dans sa résolution de 1936 sur la reconnaissance des nouveaux États. L’Institut considère en effet que « [l]a reconnaissance a un effet déclaratif » (art. 1). Elle est définie comme « l’acte libre par lequel un ou plusieurs États constatent l’existence sur un territoire déterminé d’une société humaine politiquement organisée, indépendante de tout autre État existant ». La reconnaissance traduit donc le constat, par un État existant, du fait qu’un État nouveau réunit effectivement les critères objectifs prévus par le droit international. Elle n’exprime en aucun cas une condition de cette existence, et moins encore un consentement.

Le texte précise à cet égard que « l’existence de l’État nouveau avec tous les effets juridiques qui s’attachent à cette existence n’est pas affectée par le refus de reconnaissance d’un ou plusieurs États ». Dès lors qu’une entité réunit les conditions requises, le fait qu’elle ne soit pas reconnue est ainsi sans effet sur son existence et sur ses droits en tant qu’État. Pour les mêmes raisons, et à l’inverse, la reconnaissance seule est sans effet sur l’existence d’un État qui ne réunirait pas ces conditions (la reconnaissance des régions séparatistes de l’Ukraine par la Russie n’a pas ainsi pu avoir pour effet de conférer à ces régions le statut d’État ou les droits qui y sont attachés).

Dès lors se pose la question de savoir quelles sont les fonctions de la reconnaissance en droit international (sur cette question, lire É. Wyler, Théorie et pratique de la reconnaissance d’État, Bruylant, 2013). Dépourvue d’effets quant à l’existence ou aux droits de l’État, il pourrait précocement être conclu qu’elle ne sert à rien, si ce n’est sur le plan politique ou symbolique. Ce n’est pourtant pas le cas. La reconnaissance assume deux fonctions proprement juridiques. La première est normative : l’auteur, qui ayant reconnu par une déclaration unilatérale ou un traité qu’une situation existe en fait, n’a plus la possibilité de contester cette existence. Il est juridiquement lié par sa reconnaissance. La seconde fonction juridique de la reconnaissance est probatoire : elle opère à la manière d’un témoignage quant à la réunion effective des éléments constitutifs par le nouvel État. C’est en ce sens que la Commission d’arbitrage pour l’ex-Yougoslavie avait relevé, dans son avis n° 8, que « si la reconnaissance d’un État par d’autres États n’a qu’une valeur déclarative, celle-ci […] témoigne de la conviction de ces États que l’entité politique ainsi reconnue constitue une réalité ». L’existence de reconnaissances nombreuses est ainsi un indice, parmi d’autres, du fait qu’un État a effectivement réuni les conditions requises, tandis que l’absence de reconnaissances indique au contraire les doutes de la communauté internationale quant à la réunion effective de ces éléments.

C’est donc à la double lumière des critères objectifs d’existence de l’État et de ces fonctions de la reconnaissance que doit-être envisagé le statut actuel de la Palestine en droit international.

Le statut actuel de la Palestine en droit international

La question de l’existence de la Palestine en tant qu’État ne saurait être réduite ou subordonnée à la reconnaissance d’Israël, des États-Unis ou de la France. Elle dépend, exclusivement, de l’existence objective de chacun des éléments constitutifs énumérés précédemment. Que l’ensemble de ces éléments existe, et la Palestine existe également. Que l’un fasse défaut, et la Palestine n’existe pas, faute de correspondre aux conditions nécessaires à l’acquisition du statut d’État. Assurément, chacun des critères pourra faire l’objet de débats nombreux, sur le plan juridique autant que politique, et qui relèvent d’une appréciation irréductiblement subjective. Nul n’est tenu d’être convaincu que la Palestine possède un territoire, une population et un gouvernement au sens que le droit international donne à ces termes. Cependant, il n’est pas davantage interdit de l’être.

Les divisions de la communauté internationale en ce qui concerne la reconnaissance de la Palestine traduisent donc, en droit, des divergences d’appréciation quant à la réunion des conditions requises. À ce jour, la Palestine a été reconnue par 139 États sur les 193 que compte l’Organisation des Nations Unies : ce sont autant d’États qui ont, par leur reconnaissance, témoigné du fait qu’ils estimaient que la Palestine a effectivement réuni les conditions requises par le droit international et constitue d’ores et déjà un État. La Palestine est également membre de plusieurs organisations internationales. Elle a été admise en 2012 aux Nations Unies en tant qu’État non-membre observateur : la résolution en ce sens a recueilli 138 votes favorables (dont celui de la France, selon le procès-verbal de la séance), 41 abstentions et 9 votes négatifs ; le nombre de voix favorables suffirait à faire admettre la Palestine en tant que membre à part entière de l’organisation si la procédure n’était pas soumise au droit de veto de certains membres permanents. La Cour pénale internationale a admis en 2021 que la Palestine avait valablement pu ratifier le Statut de Rome — lequel est ouvert à « l’adhésion de tous les États » (art. 125) — et a reconnu sa compétence sur cette base. Certes, ces multiples reconnaissances ne sauraient par elles-mêmes conférer le statut d’État à la Palestine : elles sont néanmoins autant de témoignages portés en faveur de son existence. De sorte que la « solution à deux États », brandie comme un horizon pour le Moyen-Orient, pourrait être pour le processus de paix non un aboutissement, mais un nouveau point de départ.

 



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