Les droits de l'homme se détériorent de manière préoccupante au Cameroun. Depuis plus de deux semaines, les autorités de Yaoundé, la capitale, gardent un silence embarrassé au sujet d'une accusation extrêmement grave : l'enlèvement suivi de l'exécution extrajudiciaire d'un opposant politique.
Selon l'hebdomadaire Jeune Afrique basé à Paris qui a mené une enquête fouillée, le capitaine Guerandi Mbara Goulongo, ancien officier camerounais et l'un des cerveaux du putsch manqué d'avril 1984 contre le régime de Paul Biya et qui vivait en exil depuis trente ans aurait été enlevé, puis exécuté sur ordre de Yaoundé.
Jeune Afrique rapporte qu'en janvier de l'année dernière, l'ex- officier qui vivait entre le Burkina Faso son pays d'adoption et l'Europe a été attiré dans un traquenard par des barbouzes recrutés par les autorités camerounaises, qui lui ont fait miroiter la possibilité d'acquérir des armes en Russie.
Parmi eux, José Alberto Fernandes Abrantes, un ancien colonel des forces spéciales portugaises, reconverti dans la sécurité et le négoce des armes et Georges Starckmann, un marchand d'armes vivant en France.
Ceux-ci qui disposent d'un aéronef proposent à M. Guerandi de le conduire chez un marchand d'armes en Russie, capable de lui fournir le nécessaire pour équiper une rébellion au Cameroun. L'avion décolle de Sofia, la capitale bulgare, en direction de la Russie. Cependant, en chemin, les compagnons de M. Guerandi lui administrent un puissant sédatif et changent d'itinéraire pour se rendre directement au Cameroun, où ils le livrent aux forces de sécurité, lesquelles l'auraient exécuté dans le plus grand secret. C'est la réticence des autorités camerounaises à verser aux mercenaires le reliquat de la somme promise qui pousse l'un d'entre eux à dévoiler l'affaire.
Pressé par une partie de la classe politique et de la société civile de répondre à cette grave accusation, le pouvoir camerounais demeure silencieux. Même le très volubile ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary, qui n'a pas hésité à organiser une conférence de presse la semaine dernière pour expliquer la condamnation dans des conditions discutables de l'avocate franco-camerounaise Lydienne Yen Eyoum à 25 ans de prison pour détournement de fonds, se montre peu bavard sur le sujet. « Je ne commente pas les rumeurs », va-t-il laconiquement déclaré aux journalistes.
Cette affaire est d'autant plus grave que M. Guerandi avait obtenu le statut de réfugié politique au Burkina Faso où il était devenu enseignant, après avoir soutenu une thèse de doctorat en sciences politiques à l'université Paris-Descartes en 1997. Par ailleurs, il avait bénéficié, comme tous les ex-putschistes de 1984, d'une amnistie décidée par le président Biya. Ce qui n'avait pas empêché le pouvoir camerounais de continuer à le traquer.
Plusieurs voix se sont élevées à Yaoundé pour réclamer la lumière sur cette affaire. Parmi elles, celle de l'ancien ministre délégué à la Justice Maurice Kamto. Cet éminent juriste qui est l'un des 34 membres de la commission du droit international des Nations unies a rappelé que le Cameroun est signataire de nombreux textes internationaux dédiés à la protection des droits de l'homme, parmi lesquels la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées de 2006. Il a réclamé la mise en place d'une commission internationale d'enquête indépendante, les faits s'étant déroulés dans plusieurs pays.
La révélation de cette affaire qu'une partie de la presse camerounaise a d'ores et déjà baptisé le « Guerandigate » survient dans un contexte particulièrement difficile pour les droits de l'homme au Cameroun.
Coup sur coup en août dernier, deux personnalités originaires du nord du pays ont été arrêtées dans des conditions extrajudiciaires.
Le 27 août, Maître Abdoulaye Harissou, un notaire bien connu et auteur de « La terre : un droit humain – Micropropriété, paix sociale et développement », un livre préfacé par Jacques Chirac a été interpellé dans la ville de Maroua (Nord) par les services de renseignement. Il est toujours en détention. Trois semaines plus tôt, Aboubakar Sidiki, président du Mouvement patriotique du salut Camerounais (MPSC), un parti d'opposition avait, lui, été interpellé presque dans les mêmes conditions dans son bureau de Douala, la capitale économique du pays. Selon le gouvernement, les deux hommes auraient été en contact avec des groupes armés centrafricains et constitueraient des menaces contre la sûreté de l'Etat. Ce que contestent leurs avocats qui crient à la manipulation politique de la part du pouvoir.
Fin novembre 2013, la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) avait déjà signalé l'arrestation et la détention arbitraire de Célestin Yandal, jeune président du Collectif des jeunes de Touboro, une association de défense des droits des jeunes dans la région de l'Adamaoua (Nord du pays). Son crime ? Avoir protesté contre les exactions des membres de la milice personnelle du Lamido, un chef traditionnel de la région et par ailleurs vice-président du sénat, qui rackettaient les populations, selon la FIDH.
Même les étudiants n'échappent pas à ce durcissement du régime. Batoum Thierry et Tchaleu Barthélémy, deux étudiants de l'université de Yaoundé et principaux animateurs de l'Association pour la défense des droits des étudiants du Cameroun (Addec) ont été temporairement exclus de toutes les universités du pays pour deux ans. Parmi les motifs retenus contre eux par le ministère de l'Enseignement supérieur figurent : non-respect des autorités administratives, affichage et distribution des tracts, campagne d'incitation à la désobéissance.
Plusieurs personnes condamnées à de lourdes peines de prison ces dernières années se sont vues conférer le statut de prisonniers politiques par la communauté internationale. C'est le cas de Marafa Hamidou Yaya, ancien ministre de l'Intérieur condamné à 25 ans de prison, officiellement pour « complicité intellectuelle » de détournement de fonds. Perçu comme l'un des successeurs les plus crédibles à Paul Biya, il s'était déclaré porteur d'un projet d'alternance politique, peu avant son arrestation en avril 2012.
René DASSIE.