La loi Attal sur les mineurs, une fausse bonne idée ?

 |  par Rédaction Patmedias avec Pascal Oudot, professeur à la Faculté de droit de Toulon

La proposition de la loi visant à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents a été définitivement adoptée par le Sénat, le 19 mai 2025 avant de donner lieu par deux fois à la saisine du Conseil constitutionnel.

Que dit la loi ?

Le nombre de codes concernés donne une première idée de l’amplitude de la réforme : le code pénal, le code civil, le code des assurances et surtout, le code de la justice pénale des mineurs, à peine entré en vigueur le 30 septembre 2021 (ordonnance n° 2019-950 du 11 sept. 2019 et décrets n° 2021-682 et 2021-683 du 27 mai 2021).

L’objectif de la loi est d’instituer une forme de responsabilité parentale, à tout le moins de responsabilisation, pour carence éducative, avec la création d’une circonstance aggravante au délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales (C. pénal, art. 227-17), lorsque sa défaillance a directement conduit l’enfant à commettre un crime ou plusieurs délits ayant donné lieu à une condamnation définitive, introduction de l’arme de l’amende civile à disposition du juge des enfants à l’article 375-1 C. civ. et à l’article 311-5 CJPM lorsque les parents ne répondent pas à ses convocations.

Si la consécration de la solution de l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén. 28 juin 2024, n° 22-84760) à l’article 1242, al. 4 C. civ., établissant la responsabilité solidaire de plein droit des parents pour les dommages causés aux tiers par leur enfant mineur lorsqu’ils ont l’exercice de l’autorité parentale, indépendamment du lieu de résidence de l’enfant, était attendue, en revanche la disposition d’ordre public insérée à l’article L. 121-2 C. ass. l’était sans doute moins. L’assureur qui a indemnisé la victime peut se retourner, dans la limite de 7500 euros, contre celui des parents qui a contribué, par sa carence éducative, à la commission du crime ou des délits pour lesquels le mineur a été définitivement condamné.

Dans la ligne répressive qui est la sienne, la loi étend la procédure de comparution immédiate aux mineurs d’au moins 16 ans, sous réserve de leur accord, dès lors qu’ils encourent une peine supérieure ou égale à trois ans d’emprisonnement et sont déjà connus de la justice (CJPM, art. L. 143-5-1). L’ordonnance du 11 septembre 2019 laissait présager cette évolution avec la création de l’audience unique, dérogeant à la « césure » du procès des mineurs, applicable aux délinquants récidivistes, décidée en audience, à titre exceptionnel, par le juge des enfants ou par le tribunal des enfants (CJPM, art. L. 521-2) ou sur décision du procureur de la République (CJPM, art. L. 423-4). Parmi les nombreuses dispositions venant préciser le déroulement du procès pénal (recueil de renseignements socio-éducatifs, rapport éducatif, composition du tribunal…), la loi étend le recours à l’audience unique en abaissant le seuil de la peine d’emprisonnement encourue par les mineurs (3 ans au lieu de 5 pour les 13-16 ans, 1 an au lieu de 3 pour les plus de 16 ans).

La loi, décidément répressive, supprime l’excuse de minorité pour les mineurs de plus de 16 ans récidivistes ayant commis des crimes ou délits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement. Elle précise enfin les mesures applicables aux mineurs, telles que les mesures de sûreté, renforcées en cas d’acte de terroriste ou d’infraction grave commise en bande organisée (placement en centre éducatif fermé, en détention provisoire, sous contrôle judiciaire, assignation à résidence sous bracelet électronique, dès l’âge de 13 ans) ou certaines mesures éducatives judiciaires provisoires (obligation de pointage auprès de services ou d’associations habilitées, obligation de couvre-feu prononcée en alternative aux poursuites).

Dans quel contexte médiatique et juridique ?

L’opinion publique se forge parfois à partir de faits infames perpétrés par des mineurs relayés par les médias. Ce mécontentement populaire ne peut être ignoré du politique. Il ne doit toutefois pas cacher une réalité autre : la diminution de la délinquance des mineurs dans la société française ces 10 dernières années selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, la transformation ensuite de la délinquance, celle en particulier sévissant sur le net à l’insu des parents.

Il serait faux de reprocher au législateur son inertie. Si le renouvellement de la responsabilité des parents ne s’est pas opéré ex post, une fois l’infraction commise par le mineur, elle s’est considérable renforcée ex ante, pour en prévenir la survenance. Ainsi peut être interprété le fort mouvement contemporain de pénalisation du droit de la famille, condamnant parfois très sévèrement les parents, notamment en cas de violences intrafamiliales dont les enfants sont directement ou indirectement les victimes.

N’est-ce pas alors le comportement d’une « minorité de jeunes et d’adolescents que les Français ont le sentiment de trop voir » qui a inspiré la réforme Attal, ultime coup de boutoir contre un système perçu – à tort – par beaucoup comme étant par trop laxiste envers les jeunes délinquants et leurs parents (avant elle, la loi Ciotti de 2010, abrogée en 2013 ; la proposition de loi n° 2602 du 7 mai 2024 ; sans compter des décisions municipales, Rillieux-la-Pape, Poissy, Valence… largement commentées) ? L’attention portée aux enfants ne serait-elle pas un levier plus efficace pour lutter contre la violence, comme le défend un collectif de personnalités dans une tribune au « Monde » ?

Les nouvelles dispositions traduisent, dans tous les cas, l’incapacité de la responsabilité parentale à remplir leurs fonctions préventives et sanctionnatrices à même d’apaiser les esprits. En matière civile, la responsabilité de plein droit ne saurait jouer le rôle de peine privée, elle est d’ailleurs neutralisée par le relais de l’assurance. À cet égard, le pouvoir donné par la loi à l’assureur d’imposer au parent une contribution à la dette de réparation, outre qu’il permet indirectement à un acteur privé de participer à une mission régalienne, contredit la thèse selon laquelle leur responsabilité objective serait en mesure d’influer sur la manière de surveiller et d’éduquer leur enfant. En matière pénale, la responsabilité des parents est sollicitée pour les faits de délinquance commis par leur enfant, non pour leur propre fait. Ce point avait déjà été opposé à la proposition de loi : « le fait d’introduire une circonstance aggravante (à propos de C. pénal, art. 227-17) dépendant de la commission d’une infraction par une autre personne est contraire au principe à valeur constitutionnelle de responsabilité pénale personnelle, selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait » (Avis du Défenseur des droits n° 24-07 du 21 nov. 2024). Confortant son avis, le Défenseur des droits soulignait la difficulté de la preuve d’un lien direct entre le comportement répréhensible du parent et la commission de l’infraction par le mineur.

La fenêtre répressive de la responsabilité parentale pour les actes de délinquance commis par leur enfant étant étroite, l’action du législateur s’est essentiellement portée sur la responsabilité de l’enfant lui-même, au risque de franchir, là encore, le rubicond des droits fondamentaux.

Quelles sont les principales critiques adressées à la loi ?

En substance, il est principalement reproché au texte de méconnaître les principes constitutionnels régissant la justice pénale des mineurs, lesquels se traduisent par « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge » et « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées » (Conseil constitutionnel, décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002). Or, ces principes sont oblitérés dans la loi. Le principe d’atténuation ne s’applique pas aux mineurs de 16 ans en état de récidive ayant commis des crimes ou délits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement. La procédure de comparution immédiate, expéditive, sur le modèle de la justice pénale des majeurs, sans égard au passé éducatif et à la personnalité du mineur, conduit tout droit à l’incarcération qui en l’état, est un lieu de récidive plutôt que de réinsertion.

Outre le principe à valeur constitutionnelle de responsabilité pénale du fait personnel, déjà évoqué (C. pénal, art 227-17), la loi contredit d’autres principes comme les principes de clarté et d’intelligibilité.

Certaines dispositions de la loi Attal sont moins controversées. Ainsi celles qui actualisent le droit de la responsabilité civile des parents du fait de leur enfant mineur. Mais il eut été préférable qu’elles aient pris place au sein d’une réforme plus ambitieuse – mais beaucoup moins médiatique, consacrée au droit de la responsabilité civile laquelle aurait sans doute apporté d’autres précisions, telles que l’exigence d’une faute commise par l’enfant pour engager la responsabilité de ses parents (Proposition de loi n° 678 du Sénat du 29 juillet 2020 de réforme de la responsabilité civile, art. 1244).

Les jours qui viennent diront si le Conseil constitutionnel, lors du contrôle a priori de la loi Attal, aura porté un coup d’arrêt à une pratique qui, de loi en loi, de grignotage en grignotage, érige insidieusement les exceptions en principe pour faire prévaloir en définitive une vision désabusée de l’enfance, la privant d’une justice plaçant le relèvement éducatif et moral au cœur de sa mission première.

 

 



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