Dans un article publié le 7 décembre 2025 sur Le Monde intitulé "Le Bénin frôle le basculement après une tentative de putsch", les auteurs (AFP et correspondants locaux) décrivent avec vivacité les heures chaotiques qui ont secoué Cotonou dimanche 7 décembre dernier.
Des militaires, menés par le lieutenant-colonel Pascal Tigri, font irruption à la télévision nationale (ORTB) pour annoncer la destitution du président Patrice Talon, la suspension de la Constitution et la création d'un "Comité militaire pour la refondation".
L'article met en scène un scénario digne d'un thriller : tirs nourris près de la résidence présidentielle, hélicoptères survolant la capitale, et une riposte fulgurante des forces loyales qui reprend le contrôle en moins d'une heure. Le récit culmine avec l'apparition triomphante de Talon à la TV, affirmant que "cette forfaiture ne restera pas impunie", tandis que la CEDEAO déploie des troupes nigérianes pour sécuriser l'espace aérien.
Pourtant, si l'article excelle dans le factuel immédiat – arrestation de 14 soldats (dont 12 en service actif), libération des deux otages hauts gradés (général Abou Issa et colonel Gomina Faizou) dans la nuit du 7 au 8 décembre, et condamnation unanime de l'UA et de la CEDEAO –, il pèche par une superficialité dans l'analyse des racines profondes. Les mutins invoquent la "gouvernance défaillante" de Talon, les "promotions injustes" dans l'armée, le "mépris pour les soldats tombés au nord" et une "dégradation sécuritaire" face au djihadisme sahélien.
L'article les mentionne en passant, comme des slogans rhétoriques, sans creuser comment ces griefs s'inscrivent dans un contexte plus large : la dérive autoritaire de Talon depuis 2016, qui a transformé le "Bénin laboratoire de la démocratie" en un régime verrouillé par des réformes électorales controversées (exclusion d'opposants comme Reckya Madougou en 2021) et des lois "crysogènes" limitant les libertés.
Cette omission rend le texte plus descriptif que critique, au risque de minimiser le rôle des tensions internes dans la genèse du complot.
Le choix du Bénin comme cible d'un putsch n'est pas anodin ; il interroge la fragilité d'un îlot de stabilité dans un océan d'instabilité ouest-africaine. Contrairement aux voisins comme le Mali (2020-2021), le Burkina Faso (2022) ou le Niger (2023), où les coups d'État ont prospéré sur le terreau de la corruption endémique et de l'influence russe grandissante, le Bénin – avec son PIB en hausse de 6-7% annuels grâce au coton et au port de Cotonou – semblait immunisé.
Mais ce raté révèle des fissures que l'article de Le Monde effleure à peine : une convergence toxique de facteurs internes et externes qui rend le "pourquoi ici, pourquoi maintenant ?" aussi prévisible qu'alarmant.
Facteurs internes : L'autoritarisme "développementaliste" de Talon comme carburant du mécontentement.
Patrice Talon, l'"homme d'affaires-président" élu en 2016 sur une promesse de modernisation, a livré des infrastructures (routes, aéroport) et une croissance robuste. Mais à quel prix ? Des réformes constitutionnelles récentes (novembre 2025) prolongent les mandats législatifs de 5 à 7 ans, créent un Sénat contrôlé par le pouvoir, et excluent l'opposition des élections d'avril 2026 – un scrutin qui marque la fin de ses deux mandats.
Les mutins pointent explicitement cette "privation du droit de choisir son candidat", couplée à des hausses d'impôts, des coupes budgétaires dans la santé et des arrestations d'opposants (comme en janvier 2025, où deux alliés de Talon ont été condamnés pour un complot fictif).
Au nord, l'insécurité djihadiste (attaques du JNIM depuis le Burkina) mine la confiance dans l'armée, avec des soldats négligés – promotions "injustes" et familles de martyrs oubliées.
Sur X, des voix locales comme @JoAmolo soulignent : "Quand tout va bien économiquement, un coup est voué à l'échec, mais les réseaux sociaux amplifient le panafricanisme impulsif."
Le Bénin n'est pas "pauvre" ; il est inégal, et Talon, perçu comme un "roi coton" distant, cristallise les frustrations d'une jeunesse (60% de la population <25 ans) privée de voix politique.
Facteurs externes : L'effet domino des putschs sahéliens et les enjeux géopolitiques.
L'Afrique de l'Ouest est un baril de poudre : sept coups ou tentatives depuis 2020, dont la Guinée-Bissau fin novembre 2025.
Le Bénin, frontalier du Niger et du Burkina (membres de l'Alliance des États du Sahel, pro-russe), est une cible symbolique pour tester la résilience de la CEDEAO.
L'intervention nigériane (jets F-16 pour "dislodge" les mutins) – confirmée par Tinubu – souligne l'urgence régionale : sans cela, le putsch aurait pu s'étendre, comme en Guinée-Bissau.
Pourquoi le Bénin ? Parce qu'il est le dernier rempart démocratique avant le Sahel ; un succès y aurait validé le narratif "anti-impérialiste" des juntes, fragilisant la CEDEAO et invitant Moscou ou Wagner à l'Est.
Forces et Limites de l'Article : Une Bonne Chronique, mais pas une Analyse. L'article brille par sa rapidité et son équilibre : il cite Talon, les mutins et la CEDEAO sans biais flagrant, et intègre des visuels percutants (soldats à l'ORTB). Il évoque bien le "flou artistique" post-événement – otages en fuite, poches de résistance – et le rôle décisif de l'armée loyale (Garde nationale, cœur sécuritaire de Talon).
Sur X, des posts comme celui de @THETROJAN BEAST résument : "Le coup qui a duré 45 minutes", capturant l'absurde brièveté.
Mais il manque de profondeur prospective. Pourquoi ignorer le précédent de 2024 (complot déjoué contre Talon) ou les amendements constitutionnels comme déclencheur ?
Une critique plus acerbe pointerait aussi l'euphémisme "frôle le basculement" : ce n'était pas un frôlement, mais un test raté pour Talon, qui en sort affaibli malgré la victoire. Et pour la région ? La CEDEAO déploie des troupes (Nigeria, Sierra Leone, Côte d'Ivoire), mais sans réforme, c'est du emplâtre sur une jambe de bois.
En somme, cet article est une entrée en matière solide pour comprendre l'événement, mais il appelle une suite : le Bénin n'est pas sauvé ; il est en sursis. Talon doit dialoguer, ou le prochain coup – peut-être populaire – ne sera pas "raté". Comme le tweete @marcus_herve : "La France condamne... mais Talon dit que c'est sous contrôle. Vraiment ?"
Le Bénin, ce "pourquoi pas ailleurs ?", nous rappelle que la démocratie africaine n'est pas un acquis, mais un combat quotidien.