18 juillet 2024 : tout commence au Palais Bourbon…

 |  par Rédaction Patmedias avec Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, professeur de droit public

La séance d’installation de la XVIIe législature est programmée au jeudi 18 juillet où devra être élu le Président de l’institution. Ce scrutin sera le premier et sa dimension symbolique n’échappe à personne. Il sera rapidement suivi de la composition du bureau et de l’élection des présidents des huit commissions permanentes.

Comment va se passer la répartition des responsabilités au sein de l’Assemblée ?


Si l’incertitude règne à ce stade sur l’issue des votes, leurs règles d’organisation sont extrêmement précises et dument détaillées dans les articles 8 à 12 du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN).

Ainsi, selon l’article 9, la première séance de la législature se tiendra sous la présidence de son doyen d’âge, assisté, en qualité de secrétaires, des six plus jeunes députés présents. Aucun débat n’est autorisé car l’unique objet est d’élire, pour la durée de la législature, le (la) président(e) de l’Assemblée. Celui-ci est choisi à bulletins secrets au scrutin majoritaire à trois tours : aux deux premiers, la majorité absolue est nécessaire, au troisième la majorité relative suffit. Le Règlement prévoit même qu’en cas d’égalité de suffrages, c’est le plus âgé qui est élu. Cette précision qui existe depuis la IIIe République fut utile le 4 avril 1888. Alors qu’il s’agissait du troisième tour de scrutin pour élire le président de la Chambre, Georges Clemenceau et Jules Méline obtinrent chacun 168 suffrages. Comme le premier était né en septembre 1841 et le second en mai 1838, c’est lui qui fut proclamé élu.

Le lendemain, le 19 juillet viendra le reste du bureau, soit six vice-présidents, qui suppléeront le président, trois questeurs, qui géreront matériellement l’Assemblée, et douze secrétaires, supposés surveiller les scrutins. Les 22 membres doivent reproduire la diversité politique des bancs, et leur désignation fait normalement l’objet d’une répartition consensuelle entre les groupes, au prorata de leur importance. Le Règlement précise en effet que cette élection « a lieu en s’efforçant de reproduire au sein du Bureau la configuration politique de l’Assemblée » là où, sous la IVe République, il se bornait à être « représentatif » de l’ensemble des groupes.

A cette fin, l’alinéa 3 de l’article 10 dispose que « le Président (…) réunit les présidents de groupes en vue d’établir la répartition entre les groupes de l’ensemble des fonctions du Bureau et la liste de leurs candidats à ces fonctions ». Dans les faits, de 1959 à 2017, une convention non écrite a permis d’une part à la majorité parlementaire de s’assurer logiquement une supériorité numérique au sein du Bureau et d’autre part de préserver une représentation équilibrée des groupes. Mais au mois de juin 2017, cette tradition fut battue en brèche, privant le premier groupe de l’opposition du poste de questeur qui lui été implicitement réservé et déclenchant du même chef, une crise parlementaire du plus mauvais effet.

Aussi pour pallier cette carence règlementaire, une résolution du 11 octobre 2017 a inscrit dans le Règlement une clé de répartition permettant d’arrêter la représentation pluraliste équilibrée souhaitée. Elle est décrite dans les alinéas 5 à 16 de l’article 10 et repose sur un système de pondération des fonctions attribuées aux groupes, excluant de fait les députés non-inscrits. Concrètement, leurs présidents effectuent des choix en « fonction du nombre de points dont ils disposent », c’est-à-dire à partir de leurs effectifs, sachant que les postes seront différemment étalonnés : deux points pour un vice-président, deux points et demi pour une fonction de questeur et un point pour celle de secrétaire.

De plus, respectant formellement une habitude née sous la IIIe, poursuivie avec cependant quelques accros sous la IVe République et continument appliquée depuis 1973, l’alinéa 7 précise qu’un « poste de questeur [sur trois] est réservé à un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition ». Enfin, depuis 2019, obligatoirement le « premier des vice-présidents dans l’ordre de la préséance est le député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition » (article 11 alinéa 2).

Ainsi les tractations doivent permettre d’aboutir à un accord global évitant un vote sur chaque responsabilité. En effet, si l’accord est trouvé, la liste est établie dans l’ordre décidé par les présidents, déterminant d’ailleurs ainsi la présentation protocolaire des titulaires des fonctions, puis elle est affichée et publiée au Journal Officiel. Les désignations deviennent effectives dès cet instant. Si des difficultés persistent interdisant l’établissement d’un consensus, alors il sera procédé dans l’hémicycle à un vote au scrutin plurinominal majoritaire. Le système a donc au moins la vertu d’être parfaitement rodé.

En quoi ces procédures peuvent-elles être différentes des précédentes législatures ?


La première différence tient au fait que la composition des instances parlementaires précèdera la composition du nouveau gouvernement. La logique voudrait, en conséquence, que les deux étapes soient liées et l’on peut aisément imaginer que les tractations qui accompagnent actuellement les discussions au sein des deux coalitions électorales que sont le « Nouveau Front Populaire » et « Ensemble pour la République » intègrent la répartition de ces responsabilités parlementaires.

On peut même gager qu’elles englobent l’attribution des présidences des huit commissions permanentes. Jusqu’à présent, seule la présidence de la commission des finances était réservée à « un député appartenant un groupe s’étant déclaré d’opposition » (article 39 al. 3 du RAN). Compte tenu du fait qu’aucun groupe ne dispose d’une quelconque majorité, il ne serait pas incongru que pour la première fois la répartition des responsabilités se fasse au prorata du poids des groupes. Cette pratique est habituelle en Allemagne ou en Italie sans que cela n’altère le fonctionnement de leurs assemblées. De surcroit, une telle initiative pourrait augurer de méthodes de travail novatrices et constructives.

La seconde différence découle du contexte dans lequel s’est déroulé le second tour de l’élection législative. La plupart des députés qui siègeront doivent leur élection aux voix de leurs adversaires. Ils sont les bénéficiaires du « barrage » qui fut le seul enjeu de ce tour décisif. Comment ce mandat doit-il se traduire dans l’hémicycle ? Faut-il en tirer comme conclusion de priver le RN de tout accès à des responsabilités parlementaires ? C’est la lecture des députés écologistes qui martèlent la nécessité d’un tel « cordon sanitaire ». A contrario, refuser de reconnaitre la légitimité du groupe le plus important de l’Assemblée nationale (126 députés) en lui interdisant d’exercer des responsabilités ne serait pas sans conséquence sur le climat des futurs échanges. Il n’est pas non plus exclu que cela incite le RN à utiliser rapidement sa capacité de censure.

Quels sont les enjeux parlementaires de ces premiers votes ?


C’est l’épreuve du feu pour tous les groupes, notamment pour ceux, comme le PS ou les écologistes qui prônent une république parlementaire. En 2022 déjà, alors que les électeurs votaient traditionnellement pour donner une majorité au Président, au lendemain de la réélection d’Emmanuel Macron, ils votèrent pour lui donner une opposition. Pour la première fois depuis 1958, le barycentre de l’activité politique regagnait l’Assemblée et les députés pouvaient reprendre la main. Las, aucune des formations d’opposition n’accepta de participer réellement au processus législatif c’est-à-dire ne se montra disponible pour d’éventuels compromis.

La nouvelle législature leur offre une nouvelle opportunité. Accepteront-ils de sortir de l’illusion dans laquelle ils se sont enfermés depuis dimanche et qui les conduit à réclamer le pouvoir sans disposer d’une majorité ? Oseront-ils chercher une coalition nouvelle leur permettant de peser dans les débats, d’influencer le contenu des textes tout en défendant leurs idées ? Les partis de l’ancienne majorité présidentielle dépasseront-ils les limites (rétrécies) de leur cartel électoral pour bâtir un attelage gouvernemental dont le mandat reposera sur des négociations ponctuelles ? Les députés LR se réfugieront-ils dans l’incantation stérile et l’irresponsabilité captieuse ?



Partager cet article
Vos commentaires

Audition de la Cour des Comptes : Un Réquisitoire Sans Appel sur la Gestion de France Télévisions
Politique

Audition de la Cour des Comptes : Un Réquisitoire Sans Appel sur la Gestion de France Télévisions

Le 3 décembre 2025, l'Assemblée nationale a été le théâtre d'une audition tendue et révélatrice au sein de la commission d'enquête parlementaire sur la neutral…
La SEMSAMAR : Un vernis AFNOR sur un nouveau déficit en 2024
Économie

La SEMSAMAR : Un vernis AFNOR sur un nouveau déficit en 2024

Dans les eaux troubles de l'aménagement ultramarin, la Société d'Économie Mixte d'Aménagement de Saint-Martin (SEMSAMAR) flotte comme un paquebot en perdition…
Chronique du week-end – L’âme nomade et notre responsabilité
Société

Chronique du week-end – L’âme nomade et notre responsabilité

L’âme nomade pense qu’elle ne touche à rien. En réalité, elle touche à tout, mais du bout des doigts, sans jamais serrer.La responsabilité n’est pas de renonce…
L'Allemagne suspend le regroupement familial pour les étrangers sous protection subsidiaire
Europe

L'Allemagne suspend le regroupement familial pour les étrangers sous protection subsidiaire

Alors que certains pays européens avancent pour contrer l'immigration massive, en France nos parlementaires brillent par leur manque de courage pour légiférer…
La Tentative de Coup d'État Raté au Bénin – Un Symptôme d'une Instabilité Régionale qui Frappe à la Porte de la Démocratie Ouest-Africaine ?
Monde

La Tentative de Coup d'État Raté au Bénin – Un Symptôme d'une Instabilité Régionale qui Frappe à la Porte de la Démocratie Ouest-Africaine ?

Dans un article publié le 7 décembre 2025 sur Le Monde intitulé "Le Bénin frôle le basculement après une tentative de putsch", les auteurs (AFP et correspondan…
Chronique – La Médiation Animale : Quand les Animaux deviennent thérapeutes
Santé-Environnement

Chronique – La Médiation Animale : Quand les Animaux deviennent thérapeutes

Histoire vraie. Un jour, dans une maison de retraite du Finistère, un vieux monsieur de 92 ans qui n’avait pas prononcé une phrase complète depuis six mois a r…
Escapade en Guadeloupe : Au menu ? Que de bonnes choses
Culture

Escapade en Guadeloupe : Au menu ? Que de bonnes choses

L'année 2025 marque un renouveau pour le tourisme guadeloupéen, boosté par une haute saison prometteuse : +5 % de fréquentation aéroportuaire et 440 000 croisi…
Équipe olympique des réfugiés : un flambeau « d’espoir et de paix »
Sports

Équipe olympique des réfugiés : un flambeau « d’espoir et de paix »

37 athlètes réfugiés ont participé aux Jeux olympiques de Paris 2024. Il s’agit de la plus grande équipe depuis la création des équipes de réfugiés du Comité i…
Votre rubrique "Le web a un incroyable talent " est de retour
People

Votre rubrique "Le web a un incroyable talent " est de retour

Vous nous l'avez réclamé . Il est de retour.  Bienvenue dans "Le web a un incroyable talent", une rubrique dynamique et captivante qui célèbre les talent…

Veuillez activer le javascript sur cette page pour pouvoir valider le formulaire



©2021 Patmédias, tous droits réservés - Réalisation agence web corse

Haut de page