La presse libre est un mythe

 |  par Patrick JEAN-PIERRE

"On ne nous donne pas ce que nous devons, mais ce que nous voulons."
Pour écrire cet article la rédaction s'est inspirée des écrits de l'Américain Chris Hedges, traduits par Farouk Atig, grand reporter. 
Christopher Lynn Hedges est un journaliste et auteur américain. Ancien correspondant de guerre, il est reconnu pour son analyse de la politique américaine ainsi que de celle du Moyen-Orient.

Chris Hedges affirme que « Combler le fossé énorme entre identités idéalisées -celles qui dans une culture de la commodité reposent sur l'acquisition d'un statut, d'argent, de gloire et de puissance, ou du moins de l'illusion que l'on s'en fait- et identités réelles, est la fonction première des médias de masse. Et la restauration de ces identités idéalisées, largement assiégées par les publicitaires et la culture d'entreprise, peut être très rentable. On ne nous donne pas ce que nous devons, mais ce que nous voulons. »

Cette analyse, Hedges la fait pour parler des dessous du journalisme américain. Force est de constater qu'elle s'applique aussi à la France. Chez nous aussi les médias de masse soutiennent sans sourciller l'idéologie d'une pensée unique et globale, un establishment qui ne veut pas dire son nom. Ils font la promotion aveugle du mythe de la démocratie, alors même que nous sommes dépouillés de nos libertés civiles, du respect de nos idées à travers nos votes. Des médias qui comptent habituellement sur les communiqués de presse, écrits par des sociétés privées, pour distiller leurs propres actualités.

Et là Hedges a raison : "Le rôle de ces médias est de divertir ou de restituer à la manière de perroquets la propagande officielle pour le bon peuple. Les sociétés privées, qui possèdent la presse, n'hésitent pas pour cela à embaucher des journalistes prêts à servir de « courtiers » aux élites, qu'ils élèvent au rang de célébrités. Ces journalistes de cour, qui peuvent gagner beaucoup d'argent, sont régulièrement invités dans les cercles du pouvoir. Ils sont, comme l'écrivait John Ralston Saul, des « hédonistes du pouvoir ».

Hedges prend cet exemple.

Quand Gary Webb, dans une série d'articles publiés en 1996 au « San Jose Mercury News », dénonce la complicité de la CIA dans le trafic de tonnes de cocaïne à destination des États-Unis pour financer les rebelles soutenus par la CIA au Nicaragua, la presse fait de lui un journaliste lépreux. Et au fil des générations, la longue liste de journalistes lépreux s'est étoffée, de Ida B. Wells à I.F. Stone en passant par Julian Assange.

Depuis la sortie du film au début du mois, les attaques contre Webb ont été renouvelées dans des publications aussi « respectables » que le Washington Post. Ces attaques sont un acte d'auto-justification. Elles sont une tentative par les médias de masquer la collaboration entre elles et l'élite au pouvoir. Les médias, comme le reste de l'establishment libéral, cherchent à se draper dans le placage morale de la poursuite intrépide de la vérité et de la justice. Mais pour maintenir ce mythe, ils anéantissent la crédibilité de journalistes tels que Webb et Assange, qui éclairent la planète sur les rouages ​​sinistres et meurtriers du monde globalisé, et se soucient plus de vérité que de fabriquer des nouvelles.

En France, beaucoup de médias rédigent leurs papiers à partir de sources officielles et sont donc l'otage de ces sources, ils sont les pions de ce même pouvoir. Ils sont en proie à la même médiocrité, au même corporatisme et au même carriérisme que les partis politiques, les syndicats, et autres institutions, même religieuses. Ils s'accrochent vainement au mantra égoïste de l'impartialité et de l'objectivité pour justifier leur soumission au pouvoir.

Hedges poursuit et souligne que la presse parle et écrit -à la différence des universitaires qui bavardent entre eux dans le même jargon ésotérique comme celui en vogue entre théologiens médiévaux- pour être entendue et comprise par le public. C'est pour cette raison que la presse est plus puissante et qu'elle est plus étroitement contrôlée par l'Etat. Elle joue un rôle essentiel dans la diffusion de la propagande officielle. Mais pour pouvoir diffuser efficacement la propagande de l'Etat, la presse se doit de maintenir la fiction de l'indépendance et de l'intégrité. Cacher en somme ses véritables intentions.

Les médias, comme C. Wright Mills l'a fait remarquer, sont des outils essentiels pour le conformisme. Ils insufflent aux lecteurs et aux téléspectateurs leur propre sens d'eux-mêmes. Ils leur disent qui ils sont, ce que leurs aspirations devraient être. Ils promettent de les aider à atteindre ces aspirations. Ils leur suggèrent une variété de techniques, de conseils et de stratagèmes et leur promettent réussite personnelle et professionnelle. Les médias, comme l'a écrit Wright, existent avant tout pour permettre aux citoyens de trouver les clés du succès par eux-mêmes et répondre à leurs aspirations, quand bien même ils n'en n'auraient pas. Ils utilisent un langage et des codes pour manipuler et forger leurs opinions, non pour favoriser un véritable débat démocratique et de dialogue, ou pour ouvrir l'espace public à une action politique libre ou à l'échange. Nous sommes transformés en spectateurs passifs du pouvoir par les médias de masse, qui décident pour nous ce qui est vrai ou faux, ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. La vérité n'est pas quelque chose que nous découvrons de notre propre initiative, elle est décrétée par les organes de communication de masse.

« La rupture survenue entre la vérité et le discours mais aussi l'action -autrement dit l'instrumentalisation de la communication- n'a pas seulement accru l'incidence de la propagande ; elle a également perturbé la notion même de vérité. Le sens de nos repères dans le monde est donc détruit », souligne James W. Carey dans « Communication comme culture »..

Combler le fossé énorme entre identités idéalisées -celles qui dans une culture de la commodité reposent sur l'acquisition d'un statut, d'argent, de gloire et de puissance, ou du moins de l'illusion que l'on s'en fait- et identités réelles est la fonction première des médias de masse. Et la restauration de ces identités idéalisées, largement assiégées par les publicitaires et la culture d'entreprise, peut être très rentable. On ne nous donne pas ce que nous devons, mais ce que nous voulons. Les médias nous permettent d'échapper au monde séduisant du divertissement et du spectacle. Le tout-info est intégré dans ce savant mélange, mais ce n'est pas la principale préoccupation des médias de masse. Il n'y a guère plus de 15% de l'espace d'un journal qui est consacré aux nouvelles à proprement parler ; le reste est dédié à la futile quête de se réaliser vendue au grand public. Et ce ratio est encore plus déséquilibré sur les ondes ou à la télévision.

« C'est probablement cela la formule psychologique de base d'aujourd'hui des médias de masse, explique Mills. Mais, en tant que formule, elle est en phase avec le développement de l'être humain. C'est la formule d'un monde imaginaire que les médias inventent et entretiennent ».

Au cœur de ce monde imaginaire, se trouve le mythe selon lequel nos institutions nationales, y compris celles du gouvernement, de l'armée et de la finance, sont efficaces et vertueuses, et que nous pouvons leur faire confiance puisque leurs intentions sont bonnes. Ces institutions peuvent être critiquées pour les excès et leurs abus, certes, mais pas assaillies comme étant hostiles à la démocratie au bien commun. Elles ne pourraient être exposées au monde comme des entreprises criminelles, du moins si l'on espère conserver une voix dans les médias.
Cela ne signifie pas que le journalisme de qualité a totalement disparu ni même que la soumission au pouvoir des entreprises au sein de la presse est incompatible avec le savoir ou l'intelligence, mais les pressions internes, cachées à la vue du public, rendent le vrai journalisme très difficile. Une telle disposition, surtout si elle est maintenue dans le temps, met généralement un terme définitif à la carrière. 

La presse ne s'attaquera aux groupes faisant partie de l'élite au pouvoir seulement lorsque une faction au sein même du cercle du pouvoir décidera de faire la guerre à une autre.



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