Vigipirate « urgence attentat », un dispositif d’exception ?

 |  par Rédaction Patmedias avec François Saint-Bonnet Ɩ Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas
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L’attentat perpétré à Moscou le 24 mars 2024, revendiqué par l’organisation islamiste Daech, provoque des ondes de choc bien au-delà de la capitale russe. À la suite du Conseil de défense réuni le soir même à l’Élysée, le Premier ministre, Gabriel Attal, a décidé d’élever le plan Vigipirate à son niveau 3 « urgence attentat », le plus élevé. Ce dispositif est-il assimilable à l’état d’urgence mis en application entre 2015 et 2017 ? S’agit-il d’un nouvel état d’exception ?

En quoi consiste le plan Vigipirate de niveau « urgence attentat » ?

Comme il existe des plans de prévention au niveau départemental ou national pour faire face à des aléas tels qu’une inondation ou une sécheresse, les pouvoirs publics sont capables de se mettre en ordre de marche lorsque la menace terroriste se fait plus pressante, à la lumière des renseignements recueillis pas les différentes agences dont telle est la mission. Les racines du plan gouvernemental remontent à 1978 : la sécurité « intérieure » du pays, en proie au terrorisme, est alors confiée en partie au ministère de la défense qui conçoit un dispositif classé confidentiel. Il est mis en œuvre en 1991 au moment de la guerre du Golfe : on parle alors de plan « Pirate » pour « Protection des installations contre les risques d’attentats terroriste à l’explosif ». Sa dénomination Vigipirate date, elle, de 1995 (Instr. min. no 10400/SGDN/MPS/OTP/CD du 26 juill. 1995 établie en exécution de la directive du Premier ministre no 5038/CAB/CD du 15 juin 1995). Il est en vigueur sans discontinuer depuis 1996. Comme tout plan d’alerte et de prévention, il est régulièrement actualisé. Il comporte encore une partie classifiée.

Dans sa version actuelle, élaborée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et révisée au moment des attentats de 2015 et 2016, un premier niveau « Vigilance » — permanent — comprend une centaine de mesures de prévention et de protection qui affectent différents ministères. Le second « Sécurité renforcée – Risque attentat » la renforce notamment dans les lieux sensibles telles que les gares, les aéroports ou les lieux de culte. Le dernier « Urgence attentat » a vocation à être déclenché, pendant une durée limitée, à la suite immédiate d’un attentat ou si un groupe terroriste identifié sans être localisé entre en action. Les mesures peuvent être alors particulièrement spectaculaires : fermeture de routes, arrêt de déplacements scolaires, suspension de lignes de transport, information spécifique à l’endroit des citoyens. Des documents complets sont disponibles sur le site de la SGDSN.

Peut-on comparer ce dispositif à une forme d’état d’urgence ?

L’état d’urgence de la loi de 1955, largement modifiée en 2015, a un impact direct sur les libertés des individus pour lesquels il « existe des raisons sérieuses de penser que [leur] comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Ce peut être leur liberté d’aller et venir en cas d’assignation à résidence ou l’inviolabilité de leur domicile dans l’hypothèse des perquisitions administratives. Le plan Vigipirate « Urgence attentat » n’atteint pas les libertés essentielles de certains citoyens pris individuellement mais peut avoir des conséquences sur la vie quotidienne de tous, notamment dans les transports. Ces deux dispositifs ont pour caractéristique commune d’avoir vocation à n’être que temporaires, activés pour le seul temps du péril imminent. On doit se souvenir cependant que l’état d’urgence de la loi de 1955 a été prorogé sans discontinuer pendant près de deux ans entre 2015 et 2017. On sait aussi qu’on en est sorti que pour mieux y demeurer tant la loi Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (SILT) du 30 octobre 2017 permet à l’administration, dans le seul cadre de la lutte contre le terrorisme, de disposer de moyens très voisins : les visites domiciliaires et les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) de la loi SILT rappellent les perquisitions administratives et les assignations à résidence de l’état d’urgence. Le vocabulaire administratif euphémisé contribue largement à leur dédramatisation.

Toutefois, Vigipirate de niveau 3 peut difficilement être considéré comme une législation d’exception en ce sens qu’il porte sur l’adaptation des pouvoirs publics pour faire face à des risques anticipés — ce qui doit être une préoccupation permanente — et non pour affronter un danger si grand que l’on considère que la communauté politique elle-même est en péril, point commun de l’état d’urgence, de l’état de siège et de l’article 16 de la Constitution.

Ce plan est-il indifférent sur le terrain du respect des libertés ?

Vigipirate peut restreindre l’exercice de certaines libertés de façon indirecte. Par exemple, quand l’administration l’invoque pour ne pas autoriser une manifestation dont le bon déroulement nécessiterait la mobilisation d’un nombre important de forces de l’ordre. Puisqu’elles ne peuvent ni ne doivent être distraites de leur mission liée à Vigipirate, l’administration se voit « contrainte » de l’interdire (TA ord. 28 oct. 2023, N° 2324738). La liberté de manifestation peut dès lors être une victime collatérale de Vigipirate. De nombreuses décisions en sens contraire ont toutefois été rendues.

Il en est de même du droit au respect de la vie privée. Le juge des référés du Tribunal Administratif de Paris a pu relever que l’utilisation de drones munis de caméras « limite l’engagement des forces au sol déjà mobilisées pour le 1er mai outre celles dédiées au plan vigipirate ». Les objectifs de sécurité et de maintien de l’ordre ne pouvant pas être atteints par d’autres moyens, ces caméras aéroportées, fort intrusives, sont autorisées pour permettre de ne pas interdire la manifestation (TA ord. 1er mai 2023, N° 2309698).

 



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