Depuis plusieurs mois, un même constat s’impose de Dakar à Abuja : la menace terroriste ne se contente plus de ronger le cœur du Sahel, elle s’étend désormais vers l’ouest et le sud, infiltrant les zones côtières, perturbant les économies et affaiblissant l’autorité de l’État dans toute l’Afrique de l’Ouest.
Ce diagnostic, formulé par des responsables de l'ONU lors d'une réunion du Conseil de sécurité le 18 novembre 2025, reflète une évolution alarmante d'un conflit qui, initialement confiné au Sahel central (Mali, Burkina Faso, Niger), menace désormais de déstabiliser l'ensemble de la région.
La région est désormais le théâtre d'une attaque terroriste sur cinq dans le monde et abrite plus de la moitié des victimes du terrorisme – un basculement spectaculaire du centre de gravité mondial de la violence extrémiste.
Les données compilées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) donnent la mesure de cette évolution : 450 attaques terroristes recensées entre janvier et novembre 2025, « causant plus de 1 900 morts », a souligné mardi le chef de son instance exécutive, Omar Alieu Touray, lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU. Le Sahel central concentre l’essentiel des violences, mais le phénomène a désormais gagné l’ensemble de la région. « Aucune zone de l’Afrique de l’Ouest n’est à l’abri », insiste-t-il.
De fait, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) continuent d’étendre leur influence au-delà du Niger, du Mali et du Burkina Faso. « Plusieurs pays côtiers sont désormais menacés », a noté le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, qui participait aussi à la réunion du Conseil.
Parallèlement, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), Boko Haram et Lakurawa restent actifs dans le bassin du lac Tchad, notamment au Niger et au Nigéria. « Nous faisons face au risque d’un effet domino dévastateur dans toute la région », a mis en garde M. Guterres.
L’extension des attaques se traduit par des déplacements massifs – près de quatre millions de personnes ont fui leur foyer au Burkina Faso, au Mali, au Niger et dans les pays voisins. À cette hémorragie humaine s’ajoute une crise éducative et sanitaire d’ampleur : 14 800 écoles fermées, plus de 900 centres de santé hors d’usage. Derrière ces chiffres, des communautés entières s’effondrent, privées de services essentiels.
Ce recul n’est pas uniquement militaire. Selon la CEDEAO, les groupes armés ont ouvert un nouveau front en s’attaquant à la chaîne d’approvisionnement régionale. « En limitant l’approvisionnement et la distribution de produits essentiels comme le carburant », ils mènent, dit Omar Alieu Touray, « une véritable guerre économique ». Là où le carburant manque, les marchés ralentissent, les transports s’arrêtent, les hôpitaux rationnent leurs activités et les opérations humanitaires peinent à atteindre les zones isolées.
C’est notamment le cas au Mali, où une pénurie aiguë de carburant provoquée par un blocus djihadiste du GSIM, affilié à Al-Qaïda, nourrit la crise humanitaire. António Guterres avait averti que si cette situation perdurait dans le pays, « les conséquences pourraient être mortelles pour les personnes qui dépendent de ces programmes vitaux ».
Plusieurs éléments expliquent cette accélération :Coups d'État et fragmentation régionale : La création de l'Alliance des États du Sahel (AES – Mali, Burkina, Niger) en 2023, suivie de leur retrait de la CEDEAO en janvier 2025, a rompu la coopération antiterroriste.
Le G5 Sahel dissous, les frontières poreuses deviennent des corridors pour les djihadistes.
Financement illicite et technologies avancées : Les groupes exploitent l'or, le bois et le bétail volés pour se financer, tout en adoptant des drones et IED (engins explosifs improvisés) pour des attaques sophistiquées.
Racines socio-économiques : Pauvreté, chômage des jeunes et changements climatiques (sécheresses au Sahel) alimentent le recrutement. António Guterres l'a résumé : "Les terroristes prospèrent là où le contrat social est rompu."
Les appels humanitaires pour le Sahel (4,9 milliards de dollars) ne sont financés qu'à 25 %.
Sur X (ex-Twitter), des comptes comme @SahelAlerte soulignent cette urgence, relayant les alertes ONU sur l'extension "sans frontières" de la menace.
Face à cette "menace existentielle", les réponses militaires seules sont insuffisantes. La CEDEAO accélère le déploiement de sa Force en attente, approuvée en août 2025, mais freinée par un manque de fonds.
L'Initiative d'Accra (2017), regroupant sept pays côtiers, doit être restructurée pour une surveillance accrue des frontières.
Partage de renseignements transfrontalier : Reconstruire la confiance entre AES et CEDEAO, via des dialogues comme celui d'Abuja en juin 2025.
Investissements développementaux : Créer des emplois via le secteur privé, et soutenir la désradicalisation (programmes de désengagement des combattants).
Soutien international : L'ONU appelle à un partenariat "systématique, opérationnel et stratégique" avec l'Union africaine, incluant la société civile et les femmes.
La Côte d'Ivoire, via son représentant Tiemoko Mariko, a lancé un appel à l'aide internationale : "Il y a une percée territoriale des groupes terroristes au Mali, qui progresse de façon alarmante vers les zones côtières du sud."
Sans action concertée, le risque d'un "effet domino dévastateur" est réel, menaçant non seulement l'Afrique de l'Ouest mais la stabilité globale.En conclusion, cette expansion terroriste n'est pas inéluctable. Elle requiert une mobilisation immédiate, alliant fermeté sécuritaire et justice sociale, pour préserver un continent en pleine mutation économique. L'Afrique de l'Ouest, de Dakar à Abuja, doit transformer cette menace en catalyseur d'unité régionale.