Dans le paysage politique azuréen, où le soleil tape fort et les ambitions encore plus, le face-à-face entre Christian Estrosi et Éric Ciotti s'annonce comme le choc de la rentrée 2025.
À quelques mois des élections municipales de mars 2026 à Nice, cette rivalité fratricide, née d'une alliance de plus de vingt ans, cristallise les fractures de la droite française. Anciens complices, aujourd'hui ennemis jurés, les deux hommes incarnent deux visions irréconciliables : l'ouverture centriste d'un côté, l'union avec l'extrême droite de l'autre.
Mais au-delà du ring niçois, ce duel irradie sur l'ensemble de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), où Estrosi a jadis régné en maître et où Ciotti cherche à grappiller du terrain. Une analyse critique de ce combat sans merci révèle non seulement les faiblesses des protagonistes, mais aussi les enjeux profonds pour une droite en pleine recomposition.
Rappelons les origines de cette saga. Dès la fin des années 1980, Éric Ciotti, jeune diplômé de Sciences Po, intègre l'entourage de Christian Estrosi comme attaché parlementaire. Le mentor, alors député et champion de moto reconverti en politique, propulse son poulain : Ciotti gravit les échelons, de la mairie de Nice au Conseil général des Alpes-Maritimes, qu'il préside en 2008 avec la bénédiction d'Estrosi
Leur tandem forge la domination locale des Républicains (LR), avec une ascension fulgurante dans les Alpes-Maritimes.La première fissure survient en 2015, lors des régionales en PACA. Estrosi, candidat unique de la droite face au Front national de Marion Maréchal-Le Pen, écarte Ciotti pour mener la charge. Victoire arrachée au second tour, mais Ciotti, loyal, tempère : "J’ai tout donné pour l’élection de Christian Estrosi (…) On a nos différences, chacun a ses sensibilités dans une famille politique."
La vraie cassure explose en 2017. Alors que Ciotti reste fidèle à François Fillon malgré les scandales, Estrosi rallie Emmanuel Macron, perçu comme une trahison par son ex-protégé. "J’aimais beaucoup le Christian Estrosi d’hier, j’aime beaucoup moins celui qui est dans la majorité aujourd’hui", lâche Ciotti sur BFM TV.
Depuis, les piques fusent. En 2018, Ciotti fustige l'impôt métropolitain d'Estrosi : "Être de droite, ce n’est pas augmenter les impôts."
La rupture s'aggrave en 2021-2022, avec les législatives et les alliances. Ciotti, ex-président LR, scelle en 2024 une union avec le Rassemblement national (RN) post-dissolution, fondant l'UDR (Union des droites pour la République). Estrosi, Horizons et proche d'Édouard Philippe, se pose en rempart contre l'extrême droite : "Je continuerai de lutter inlassablement contre tous les extrêmes."
Ce divorce idéologique, amplifié par des affaires judiciaires (enquêtes sur des événements niçois pour Estrosi, soupçons de cumuls pour Ciotti), transforme une querelle personnelle en guerre totale.
Le 27 août 2025, Éric Ciotti officialise sa candidature sur TF1, depuis Nice, balayant d'un revers la "mauvaise gestion" d'Estrosi : dette de 3 milliards d'euros, insécurité galopante, hausse de 25 % de la taxe foncière en 2024.
"Je vais gagner cette élection", assène-t-il sur BFM, promettant une baisse de 20 % de la taxe foncière, le doublement des policiers municipaux, une nouvelle prison et la fermeture du siège parisien de la métropole Nice Côte d'Azur.
Soutenu par Jordan Bardella, qui le sacre "candidat de l'union des patriotes", Ciotti assume son virage : "La rupture, c’est 2017. (…) Christian Estrosi est le maire de la dette. C’est à la fois le maire bling-bling et le maire macroniste."
De son côté, Estrosi balaie l'annonce d'un revers de manche sur Sud Radio : "Ciotti ? Un adversaire comme un autre."
Réélu en 2020 avec 60 % des voix, il mise sur son bilan : coulée verte, urbanisme innovant, rempart contre le RN. Mais la campagne s'emballe déjà : faux courriers, polémiques sur la gare du Sud ou le naming d'un parvis à Nicolas Sarkozy.
Et curieusement, le 19 octobre 2025, les deux rivaux font front commun contre l'interruption d'un match OGC Nice-OL pour des chants anti-Daech jugés homophobes, dénonçant une "décision totalement incompréhensible".
Un rare moment d'unité qui souligne leurs convergences sécuritaires, malgré les divergences.
Ce combat n'est pas qu'urbain. Nice, joyau de PACA, pèse sur la région présidée par Renaud Muselier (allié d'Estrosi). Une victoire de Ciotti conforterait l'union des droites localement, menaçant le "modèle Estrosi" qui a tenu le RN à distance en 2015 et 2021. Nationalement, c'est un baromètre : face à une Macronie essoufflée, la droite teste sa recomposition avant 2027. La gauche, divisée, rêve d'un duel qui l'exclue du second tour, mais son union récente (PS-PC-Écolos) reste fragile.
Et si l'OGC Nice, symbole niçois, unit les camps sur la sécurité, il révèle un consensus anti-terroriste qui pourrait apaiser – ou instrumentaliser – la campagne.En somme, ce duel Estrosi-Ciotti, féroce et théâtral, expose les tares d'une droite azuréenne : personnalisation excessive, absence de vision collective.
Pour PACA, il promet un scrutin saignant, où le vainqueur hériterait d'une ville polarisée. Les Niçois, las des querelles de clocher, méritent mieux qu'un ring de boxe : des idées pour une région rayonnante, pas des règlements de comptes. Reste à voir si, comme lors de ce match interrompu, l'unité l'emportera sur la division – ne serait-ce que le temps d'un but.