Affaire Lola : la perpétuité incompressible, une peine d'exception qui marque l'histoire judiciaire française

 |  par Rédaction Patmedias
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Trois ans après le meurtre atroce de Lola Daviet, une fillette de 12 ans violée, torturée et assassinée dans le nord-est de la capitale, la justice a rendu son verdict ce vendredi 24 octobre. Dahbia Benkired, 27 ans, a été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, une sanction inédite pour une femme en France. Cette peine, la plus lourde prévue par le Code pénal, cristallise les débats sur la dangerosité extrême et la protection de la société. Mais qu'est-ce que cette "perpétuité incompressible" ?

Retour sur un procès qui a rouvert les plaies d'une affaire qui avait ébranlé la nation, et sur une mesure judiciaire rare, conçue pour les crimes les plus impardonnables.

Le calvaire de Lola : un crime qui a choqué la France

Le 14 octobre 2022, Lola Daviet, collégienne discrète du 19e arrondissement de Paris, disparaît en rentrant de l'école. Son corps est retrouvé le lendemain, dissimulé dans une valise de voyage abandonnée près d'un gymnase, les mains et les pieds ligotés, une inscription "Lola t'es une p..." gravée sur le ventre au couteau. L'autopsie révèle un viol sadique, des actes de torture et une strangulation. L'enquête pointe rapidement Dahbia Benkired, une Algérienne de 24 ans à l'époque, sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) depuis 2019 et connue des services de police pour des troubles psychiques légers.Benkired, sans domicile fixe ce jour-là, avait suivi la fillette dans l'immeuble de sa famille, l'avait attirée dans les parties communes avant de la traîner dans un sous-sol pour commettre l'irréparable.

Lors de son arrestation, elle avait clamé : "C'est moi qui ai tué la petite." Ce crime, sur fond de précarité migratoire et de dysfonctionnements administratifs, avait provoqué une onde de choc nationale, alimentant les polémiques sur l'immigration et la sécurité. Des manifestations avaient eu lieu, et le gouvernement avait été interpellé sur l'exécution des OQTF. Le procès, ouvert le 14 octobre 2025 devant la cour d'assises de Paris, a ravivé ces tensions, avec une salle comble et une opinion publique suspendue à chaque témoignage.

La perpétuité incompressible : définition d'une peine "à vie"

Introduite en 1994 par la loi Badinter pour combler le vide laissé par l'abolition de la peine de mort en 1981, la réclusion criminelle à perpétuité incompressible – ou "perpétuité réelle" – est la sanction la plus sévère du droit pénal français. Contrairement à une perpétuité classique, assortie d'une période de sûreté (souvent 22 ans) après laquelle une libération conditionnelle est envisageable, cette peine ferme la porte à toute remise en liberté anticipée. "C'est une réponse à la demande de la société de se protéger d'individus extrêmement dangereux", explique l'avocate pénaliste Isabelle Steyer.Son application est strictement encadrée : elle vise les auteurs de crimes particulièrement odieux, comme le meurtre et le viol d'un mineur, les assassinats de personnes déposataires de l'autorité publique (depuis 2011) ou les actes terroristes (post-2015). La cour doit motiver sa décision par la "dangerosité extrême" de l'accusé, évaluant le risque de récidive et l'absence de remords. Seuls cinq condamnations ont été prononcées depuis 1994 : quatre pour des pédocriminels ayant tué des mineurs, et une pour Salah Abdeslam, cerveau des attentats de 2015. "Ce mode opératoire, extrêmement bien ficelé, dangereux, qui témoigne d'une certaine jouissance à faire mal, pourrait être le premier d'une longue série", a jugé Steyer à propos de Benkired.Après 30 ans d'incarcération, une révision est possible devant une commission de cinq magistrats de la Cour de cassation, qui consultera les victimes et évaluera l'impact sur l'ordre public.

Mais en pratique, c'est une exception : la libération n'intervient que pour des motifs exceptionnels, comme une maladie grave.

Le procès : entre aveux troublants et profil inquiétant

Durant dix jours, la cour d'assises a disséqué la personnalité de Dahbia Benkired, décrite comme "atypique" par les experts psychiatriques. Souffrant de troubles borderline et d'une mythomanie, elle a multiplié les mensonges lors de l'instruction – niant d'abord les faits, puis les avouant partiellement. À la barre, elle a évoqué une "pulsion incontrôlable" liée à une "haine des petites filles", sans expliquer son geste. "Je demande le pardon. C’est horrible ce que j’ai fait", a-t-elle lancé en fin d'audience, les larmes aux yeux.Le parquet a requis la perpétuité incompressible dès le matin du 24 octobre, arguant : "Il faut protéger la société d’une femme dont je suis intimement convaincu de [l’]extrême dangerosité." La défense, menée par Me Gilles-William Goldnadel, a plaidé l'irresponsabilité pénale, invoquant des troubles psychiques, mais sans succès. La cour, unanime, a suivi les réquisitions, motivant sa décision par la "cruauté gratuite" des actes et le risque de réitération. Benkired, détenue à Fresnes depuis trois ans, devra purger au moins 27 ans avant toute révision.

Réactions : un soulagement teinté d'amertume

La famille de Lola, représentée par Me Gilles-William Goldnadel (qui assure aussi la défense de Benkired, un choix controversé), a salué la décision. Delphine Daviet, la mère, avait réclamé lors des audiences : "Enfermez-la à vie, cette chose, ce monstre." "La peine est à la hauteur de l'immensité du crime", a réagi l'avocat général, soulignant la restauration de l'équilibre social. Côté civil, les parties prenantes ont exprimé un soulagement, mais aussi une douleur persistante : "Rien ne rendra Lola", a confié une proche.Politiquement, l'affaire ravive les clivages. L'extrême droite y voit une preuve des failles migratoires, tandis que la gauche dénonce une instrumentalisation. Jordan Bardella (RN) a tweeté : "Justice rendue, mais vigilance sur les OQTF." Gabriel Attal, Premier ministre, a appelé à une réforme des expulsions.

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Une première historique : implications pour la justice

Cette condamnation marque une page : première femme sous perpétuité incompressible, Benkired rejoint un club restreint de parias judiciaires. Comparée à Monique Olivier, complice de Michel Fourniret et condamnée à perpétuité "assortie" en 2023, elle incarne un durcissement. "C’est la seule avec qui on aurait pu comparer Dahbia B., mais dans le cas de Monique Olivier, c’était un homme aux manettes", note Steyer.Au-delà du symbole, ce verdict interroge : la perpétuité incompressible est-elle une vengeance ou une nécessité ? Avec seulement six cas en 30 ans, elle reste l'arme absolue d'une justice qui peine à concilier punition et humanité. Pour la famille Daviet, c'est une victoire froide ; pour la société, un rempart fragile contre l'horreur. L'appel, suspensif, est possible dans les dix jours. En attendant, le souvenir de Lola plane, intouchable.



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