En Guadeloupe, où le climat social est un volcan en ébullition permanente, l'émergence de Kongloméra n'est pas un simple remaniement syndical. C'est une opération chirurgicale calculée, une scission stratégique d'ex-militants de l'Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe (UGTG), le pilier historique de la résistance ouvrière. Présenté comme un "souffle nouveau" pour un dialogue social apaisé, ce regroupement d'unions fraîchement créées sent bon la compromission et l'ambition personnelle. À l'heure où de nouvelles sections syndicales voient le jour au sein de cette entité – comme l'Union des salariés du commerce, industries et activités diverses (USCIAD) annoncée le 19 octobre –, il est temps de décrypter sans gants cette création qui risque de diluer les luttes légitimes au profit d'un néo-syndicalisme servile.
Kongloméra n'est pas né d'un vide, mais d'une fracture. Lancé le 28 avril 2025 à la Maison des Jeunes des Abymes, ce "kongloméra" – mot-valise évoquant un conglomérat opportuniste – réunit trois syndicats naissants : l'Union des Travailleurs de la Protection Sociale (UTPS), le Syndicat des Travailleurs des Produits Pétroliers de Guadeloupe (STPPG) et le Syndicat Interprofessionnel de la Fonction Publique d'État, Territoriale et Hospitalière (SIFETH).
La grande majorité de ses acteurs ? Des transfuges de l'UGTG, ce mastodonte syndical guadeloupéen connu pour ses mobilisations radicales contre l'exploitation coloniale persistante et les inégalités criantes. Pourquoi cette scission ? Officiellement, pour "impulser une nouvelle méthode de dialogue social", loin des "conflits stériles" qui, selon eux, dégradent le climat et chassent les jeunes de l'île.
Mais creusons : l'UGTG, avec ses 2500 à 3000 militants au rassemblement du 1er mai 2025, représente une force combative, souvent en première ligne contre les reculs patronaux. L'UGTG accusée aujourd'hui d'être un "syndicat de salon" qui ne fait plus que de la politique au détriment des intérêts des salariés. Une tendance politique qui résulte de l'action de l'ancien leader Elie DOMOTA.
Kongloméra, en se distinguant par son absence à cette manif emblématique, révèle son vrai visage : une dissidence qui refuse la rue pour le salon des négociations capitulatrices.
Raymond Gauthierot, ex-secrétaire général de l'UGTG, en est le parrain discret. Son départ n'est pas anodin ; c'est le symptôme d'un malaise interne, où les modérés – ou les ambitieux – fuient la radicalité pour un syndicalisme "à l'amiable".
Au cœur de cette machination, Sully Valère Soundourayen, secrétaire général adjoint du SIFETH passé maître à bord de Kongloméra. Dans une interview révélatrice, il assène : "Nous n’allons pas nous positionner comme des adversaires du patronat mais comme des collaborateurs [du patronat]."
Collaborateurs ? Le mot est lâché, et il pue la trahison de classe. Soundourayen, ancien cadre UGTG, incarne cette métamorphose : d'un militant de terrain à un broker social qui préfère les couloirs feutrés des directions d'entreprise aux barricades. Avec Gauthierot en ombre tutélaire, Kongloméra n'est pas un front ouvrier, mais un club select d'ex-leaders recyclés, cherchant à monétiser leur carnet d'adresses au détriment des bases.Leur premier "baptême du feu" ? Le 1er mai 2025, où ils optent pour un colloque policé à Petit-Bourg sur l'histoire des mouvements sociaux, avec des historiens invités pour intellectualiser la Fête du Travail.
Pendant que l'UGTG et d'autres paralysent les routes pour exiger des hausses de salaires, Kongloméra papote. Symbole parfait d'un syndicalisme lite, aseptisé, qui évite les désagréments de la mobilisation réelle.
Le 19 octobre 2025, Kongloméra muscle son jeu avec la création de nouvelles sections, dont l'USCIAD pour le commerce et l'industrie.
Présentée en grande pompe via des lives et des vidéos YouTube, ce "renforcement" vise les secteurs vulnérables : nettoyage, cliniques privées, où les abus patronaux pullulent.
Mais derrière la rhétorique inclusive, c'est une stratégie d'encerclement : infiltrer les branches pour imposer un "dialogue" qui désarme les grèves. Priorité 2025 ? L'ouverture du CHU de La Belle Plaine, où ils promettent une "consultation" des agents pour une vision "organisationnelle et technique".
En clair : négocier les effectifs et les conditions au rabais, en se faisant passer pour les sauveurs.Combat Ouvrier, voix intransigeante des exploités, ne s'y trompe pas : ce n'est pas un syndicat neuf, mais un "regroupement tourné vers la collaboration de classe", une "trahison ouverte des intérêts des travailleurs".
En pleine crise économique – où le patronat guadeloupéen, aidé par l'État métropolitain, rogne sur les acquis sociaux –, Kongloméra offre une soupape : un faux opposant qui légitime les reculs au nom du "dialogue".
Kongloméra n'est pas anodin dans un contexte où la Guadeloupe saigne d'un chômage endémique (près de 20 %), d'une précarité galopante et d'une dépendance coloniale qui fait des bosseaux les véritables maîtres de l'île. En se posant en alternative "moderne", il divise les forces : les radicaux de l'UGTG isolés, les modérés aspirés vers un compromis mou. Politiquement, c'est un cadeau empoisonné pour les élus et les patrons, qui gagnent un interlocuteur malléable pour contourner les mobilisations explosives.Cette création n'est pas une renaissance ; c'est une résurrection zombie d'un syndicalisme collaborationniste, hérité des pires heures du corporatisme français. Aux travailleurs guadeloupéens, un conseil sévère : méfiez-vous des loups en peau de mouton. Kongloméra promet le dialogue ? Il délivre la soumission. Et pendant ce temps, les chaînes de l'exploitation claquent plus fort que jamais. Il est urgent de recentrer les luttes sur l'essentiel : l'union combative, pas le conglomérat complice.