Martinique : à la recherche du « balan », de l’élan perdu

 |  par Patrick JEAN-PIERRE avec Patrick CHESNEAU
Image en circulation militante sur les réseaux dits sociaux

Quand il se présente en vidéo sur les réseaux dits sociaux, aucun Martiniquais ne dit spontanément : « Je suis Français ». Sans doute, l'aveu serait-il trop douloureux. La honte n'est jamais loin. En proportion du risque de se voir affublé d'une nationalité implicitement suggérée comme contre nature.


Cela indique à quel point les habitants du pays des mornes et des ravines sont des Français subis et non pas des Français choisis. Des Français contraints. Au mieux, se sentent-ils des Français d'emprunt. Mais, qui parmi eux se sent imbibé de francité ? A peu près aucun.
Il serait grand temps de mettre fin à cette farce. Tragi-comédie à ciel ouvert depuis d'interminables décennies.

Français à part entière ou entièrement à part ?

La question a connu des variantes. Mais elle a toujours illustré la déconnection profonde, la césure irrémédiable, entre les professions de foi officiellement proclamées et la réalité du substrat culturel et identitaire. L'écart demeure abyssal entre des exigences contradictoires malgré l'absorption au long cours du peuple martiniquais dans l'ensemble national tricolore.
L'abandon du terme métropole pour désigner l'Hexagone est un simple palliatif. La centralité du pouvoir n'a pas bougé d'un iota. Alors un certain député LFI de Martinique, Jean-Philippe Nilor a sorti de sa besace l’idée de changer le terme « Outre-mer » par « Territoires trans-océaniques de France ». « Parce que moi, quand je suis en Martinique, je ne peux pas me dire outre-mer, c'est Paris qui est outre-mer ». On marche sur la tête. Alors pourquoi pas un drapeau ? L'adoption d'un drapeau et aussi d'un hymne martiniquais peut apparaître comme le spasme d'une revendication à l'émancipation définitive. Avec quel effet en profondeur et durable? A ce jour, la langue créole reste cantonnée à une parité fictionnelle avec l'idiome français. Malgré la force de persuasion et d'entrainement des créolistes aguerris.
En fait, en dépit de la beauté quasi-idyllique de ce lieu tellurique, la réalité est celle de tristes tropiques trimballant désillusion et désenchantement à satiété. Dans l'histoire contemporaine de cette latitude tourmentée, une frustration profonde est à l'œuvre depuis des lustres. Le dépit toujours béant. Comme si une forme de colère péléenne était consubstantielle à la psyché martiniquaise.


A fleur de peau et parfois éruptive. Est-ce suffisant pour conforter un juste combat dans la durée?


Foin de paraboles géodésiques. Attention toutefois aux nuées ardentes qui ensevelissent toutes tentatives désireuses de se frayer un chemin en vue de conquérir quelques arpents de liberté miniature. Quand un peu d'espoir naît enfin, prêt à s'inscrire dans la perspective d'un futur dégagé de tout joug institutionnel, cet exercice de respiration s'accompagne toujours de conditions draconiennes édictées par Paris.
Dans cette île caraïbe, entrée dans l'ensemble républicain au forceps après la tragédie de l'esclavage et l'abomination de la colonisation, se développe avec une délectation morose, et parfois insconsciente, une forme de culture du faux-semblant. Entre compère-lapinisme endémique et zanzolage répétitif, beaucoup perdent leur boussole.
Même quand c'est plus l'heure, à chaque fois un nouveau leurre est amené par des alizés soufflant les uns les autres en sens contraire.

Ébouriffant et surtout décoiffant

On a beau être poreux à tous les souffles du monde, manque l'oxygène galvaniseur nécessaire aux révolutions coperniciennes..
Il est d'ailleurs possible qu'il y ait basiquement une prise en tenaille. On rêve d'indépendance la nuit. Il faut rembourser le crédit du SUV le jour. Hiatus paralysant ! On se consume dans un trop-plein de consommation à effet induit mortifère. La cherté des biens et des denrées rend de plus en plus exsangues les budgets vernaculaires. Cette contradiction, certains la dépeignent sous les traits d'un malaise existentiel. Plus ou moins canalisée, l'aliénation est en pleine perpétuation malgré tous les ravages psychiques qu'elle induit, créant un surcroît d'inconfort proche de la douleur de vivre.
N'est-il pas temps de trancher le nœud gordien politique et administratif avec une puissance faussement tutélaire ? Il y avait pourtant eu mise en garde : attention à la menace d'un génocide culturel. Seule parade: rideau dans les plus brefs délais sur moult mascarades lénifiantes : la prétention à vouloir instaurer une continuité territoriale à jet continu, pourvoyeuse d'assimilation renforcée au détriment de facteurs favorisant la naissance d'une nation, l'égalité de droits et de devoirs à l'identique comme par décalque juridique imposé, la phraséologie de la spécificité et du particularisme qui est en fait source d'illusions et donc inopérante à changer la réalité concrète au quotidien comme à lointaine échéance, la revendication de la gémellité des coûts. En clair, des prix commerciaux rigoureusement au même niveau que les tarifs de la France européenne. Une demande de copie conforme. Une exigence de duplicata par mimétisme mercantile. La voie à retenir est-elle de réclamer la similitude des étiquettes en dépit de dissemblances et de disparités économiques patentes ? Souhaitable ou pas pour le développement économique endogène ? Que faire de l'octroi de mer ?

Bien sûr, rien n'est simple. Les électeurs ont rejeté il y a quelques années l'article 74 porteur d'un minuscule chouïa d'autonomie. D'aucuns exigent l'indépendance avec maintien des avantages acquis dans le cadre de l'armature législative concoctée de l'autre bord de l'Atlantique. Reste qu'ils ont été à ce jour incapables de persuader leurs coreligionnaires natifs natals des avantages d'une souveraineté irréversible.
Observation notable: il n'y a pas un Martiniquais ayant soif d'expression et de réussite dans son domaine qui n'aille en France pour tenter de percer sur le marché hexagonal. Pour ce qui est de son activité ou de son art, personne ne se contente de faire carrière dans les seules limites de Madinina. La vraie reconnaissance et la consécration ne s'obtiennent qu'au prix de l'expatriation durable. Légitime ambition sauf que cette aspiration revient à quitter la supposément trop exigüe terre ancestrale, aujourd'hui familiale, pour aller se jeter dans la gueule du loup. On s'arrache à la matrice originelle pour essayer de faire carrière dans l'antre du colonisateur. On se délecte d'une rhétorique enflammée à l'aune du glossaire en cours dans la mouvance pléthorique des anti-colonialistes en peau de manicous. Souvent, la devanture aux couleurs de l'intransigeance idéologique n'est que façade défraîchie en mal de ravalement.

Chaque paradoxe devient contradiction.

Oui, il est grand temps de forcer le destin collectif. Surtout quand semble triompher l'immobilisme.
Quand l'actualité piétine, il faut partir en quête d'un volontarisme agissant. Et décisif. Question de trajectoire. Il n'y a pas d'horizon exempt d'embûches mais le scénario d'un épanouissement à terme optimal existe.

Remettre l'histoire à l'endroit, exigence de survie.



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