Officialisation du Créole : recours en appel retoqué à Bordeaux

 |  par Patrick JEAN-PIERRE

Suite à l'audience qui s'est déroulée lundi, la cour administrative d'appel de Bordeaux a remis en cause le juge des référés de Fort-de-France. C'est ce que révèle le journal France Antilles.

C'est son cheval de bataille. Serge Letchimy, Président de l'Exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique souhaite chevaucher fièrement, arborant « Créole-Français » ou « Français-Créole » , côte à côte sur un même étendard.

Seulement voilà. Selon le journal France Antilles, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé la décision du tribunal administratif de Fort-de-France de débouter le préfet de la Martinique. Le représentant de l’Etat en Martinique, Jean-Christophe Bouvier avait demandé la suspension de la délibération de l'Assemblée territoriale sur l'officialisation du créole.


Toujours selon le quotidien des Antilles, la Cour administrative d’appel de Bordeaux n'a pas encore transmis aux parties les motivations de sa décision. Elle devrait le faire ce mercredi. Pour l'instant, le juge des référés n'a transmis que le « dispositif », c'est-à-dire la décision proprement dite. Une fois que les motivations seront connues, la CTM et son avocat pourront « s'adapter au dispositif, à la motivation de la cour d'appel pour affiner la stratégie », affirme Maître Ursulet. En effet, en fonction du raisonnement des magistrats bordelais, la Collectivité territoriale pourra se pourvoir en cassation sur cette décision de la cour administrative d'appel, ou « se concentrer sur le débat au tribunal administratif sur le fond » et renoncer à un pourvoi. Quoi qu'il en soit, souligne-t-il, la décision de la juridiction girondine "ne change rien au fond du problème puisqu'on n'a pas encore plaidé le fond".
Et de souligner que concrètement, « la suspension n'a pas de conséquences puisqu'il n'y avait pas d'éléments normatifs et que c'était un acte préparatoire » .


La délibération de l’Assemblée de Martinique n’est-elle qu’un acte préparatoire ?

Sans se prononcer sur l’emploi de la langue créole, le tribunal administratif a eu à statuer sur la nature de la délibération adoptée par l’Assemblée de Martinique. Dans sa défense, la Collectivité soutenait en effet que sa délibération n’était qu’un acte préparatoire insusceptible de recours, c’est-à-dire qu’elle ne constituait pas un acte décisoire. C’est dans ce sens qu’a statué le juge des référés. Selon son ordonnance, l’article 1er, qui est le seul dont le préfet avait demandé la suspension, n’a pas d’autre objet que d’autoriser le président de cette assemblée à transmettre le « projet de loi » demandant au Gouvernement de modifier des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, ce que prévoit le Code général des collectivités territoriales (art. L. 7252-1). Il ne s’agit alors que d’une proposition de modification ou d’adaptation du droit existant. La seule obligation pesant sur la Première ministre est d’accuser réception et d’indiquer dans quel délai elle entend apporter une réponse.

L’ordonnance de référé précise que la transmission au contrôle de légalité ne préjuge en rien de la nature juridique de cet acte. La transmission de toutes les délibérations de l’Assemblée de Martinique au contrôle de légalité est en effet obligatoire sans que cela préjuge de leur contenu normatif et de leur caractère décisionnel (art. 7231-1). La requête a donc été jugée irrecevable. Il est possible que la même réponse soit apportée sur le fond à la demande d’annulation de la délibération.

Les collectivités territoriales peuvent-elles reconnaître l’usage officiel d’une langue régionale ?

L’article 1er de cette délibération, approuvée à l’unanimité par les conseillers territoriaux moins une abstention, contient bien une affirmation dénuée de toute ambiguïté dans la mesure où l’Assemblée a reconnu le rôle et la place de la langue créole « comme langue officielle de la Martinique, au même titre que le français ». L’article 2 de la délibération a prévu à la suite que « la Collectivité territoriale de Martinique agira en faveur de la pleine reconnaissance du créole en tant que marqueur identitaire et collectif et en tant que langue vivante à laquelle l’Education nationale doit donner pleinement sa place au sein des programmes scolaires ». La référence à l‘identité serait de nature, si cette délibération devait être autre chose qu’une proposition adressée au Premier ministre, à porter atteinte à l’indivisibilité de la République.

Le droit français en matière de reconnaissance des langues régionales est assez sommaire. Tandis que l’article 2 de la Constitution proclame depuis 1992 que la langue de la République est le français, la révision de 2008 s’est contentée d’affirmer que « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » (art. 75-1). Il n’existe pas de véritable loi sur la reconnaissance des langues régionales en France, même si celle du 21 mai 2021 est relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion. Le contenu de cette loi est d’ailleurs fort modeste et il est surtout concentré sur l’enseignement des langues régionales. Elle ne proclame en rien un droit à pratiquer de manière officielle et publique une langue dite régionale même au sein des outre-mer français. Cette dernière loi n’est ainsi pas citée au visa de la décision du juge de Martinique.

L’Assemblée territoriale d’une collectivité, comme celle de Martinique, n’a pas compétence pour reconnaître que le créole ou une autre langue a le statut de langue officielle même « au même titre que le français », ce qui serait le cas si la délibération avait valeur de décision. Le Conseil constitutionnel, saisi à plusieurs reprises, notamment à propos de la loi précitée, a jugé qu’ « En vertu des dispositions de l’article 2 de la Constitution, l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public. Les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage »

Cette loi du 21 mai 2021 a modifié la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française pour affirmer que ses dispositions « ne font pas obstacle à l’usage des langues régionales et aux actions publiques et privées menées en leur faveur ». Si elle est un peu plus directive que le texte précédent qui se limitait à disposer que la loi ne s’opposait pas à l’usage des langues régionales, elle se contente de ne pas faire obstacle, ce qui ne signifie néanmoins pas leur reconnaître un statut que ni la Constitution ni la loi ne garantissent. Dans un jugement du 9 mai 2023, le Tribunal administratif de Bastia a censuré une délibération de l’Assemblée de Corse sur le bilinguisme au sein de cette collectivité unique. Il faudra alors plus que des délibérations de collectivités territoriales, même dotées d’un statut particulier, pour imposer une langue régionale officielle à côté du français. Surtout, lorsque l’usage de cette langue dépassera le cadre des seules délibérations des assemblées.

Affaire à suivre.

 


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