Ce dimanche 23 novembre 2025, la Convention Citoyenne sur les « Temps de l’Enfant », pilotée par le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) à la demande d’Emmanuel Macron, a solennellement adopté son rapport final. Après six mois de débats, 130 citoyens tirés au sort (de 19 à 83 ans) ont pondu 20 propositions censées révolutionner la vie quotidienne des enfants de 3 à 18 ans.
Retour à la semaine de cinq jours dès l’élémentaire, cours débutant à 9 heures pour les collégiens et lycéens, fin des devoirs à la maison, interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans, et deux zones de vacances au lieu de trois. Adoptées à une écrasante majorité (119 voix pour, deux contre, quatre abstentions), ces idées sonnent comme un plaidoyer bienveillant pour « remettre l’enfant au cœur de la société ». Mais derrière cette façade participative, c’est un tissu de naïvetés coûteuses et de faux-semblants qui se dessine. Pire : ce rapport, fruit d’une énième convention macronienne, n’est qu’un écran de fumée pour détourner l’attention des vraies urgences éducatives, tout en creusant les inégalités qu’il prétend combattre.
Le retour à cinq jours d’école par semaine, étalant les apprentissages sur une durée plus « biologique », vise à alléger les journées surchargées des quatre jours actuels (adoptés par 90 % des communes). Logique, en théorie : condenser 24 heures de cours sur quatre jours crée des samedis infernaux et des lundis épuisés. Mais qui paie la note ? Pas les citoyens de la convention, confortablement installés à Paris pour leurs sept sessions. Ce revirement, prôné par une majorité qui rejette le raccourcissement des vacances (maintien des 16 semaines annuelles), ignorerait superbement les contraintes familiales des classes moyennes et populaires. Les parents, coincés entre jobs précaires et transports infernaux, devront-ils rogner sur leurs week-ends pour des ateliers « pratiques » l’après-midi (sport, arts) ?
Et les enseignants, déjà sous-payés et surchargés, comment s’adapteront-ils sans moyens supplémentaires ? Le rapport en appelle à « valoriser les métiers de l’éducation » et à réduire les effectifs en classe – une évidence que le budget 2026, avec ses coupes sombres dans les postes enseignants, se propose de saborder.
Quant au début des cours à 9 heures pour les ados, justifié par des études sur les rythmes chronobiologiques (pic d’attention vers 9h30), c’est une mesure élitiste déguisée en science. Sympathique pour les lycéens des beaux quartiers parisiens, qui peuvent paresser jusqu’à 8h45. Mais pour les banlieues, où les bus scolaires démarrent à l’aube et où les familles monoparentales jonglent avec trois enfants ? Cela aggravera les fractures territoriales : les uns dormiront plus, les autres rateront le premier cours en embouteillage.
Et les devoirs relégués à l’école ? Une idée généreuse pour « éviter les tensions familiales et les inégalités », mais qui suppose des infrastructures miracles – des salles studieuses post-cours, des surveillants formés. Or, avec des classes surpeuplées et des programmes inchangés (malgré un vague appel à les « alléger »), c’est une recette pour transformer les établissements en garderies tardives, au détriment d’un vrai apprentissage autonome. L’interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans, ou la création d’un « droit à la parentalité », flirtent avec le paternalisme pur. Ces gadgets moralisateurs – inspirés d’auditions d’experts et d’ateliers régionaux – ignorent que les écrans envahissent déjà les foyers modestes par nécessité (télétravail parental, baby-sitting virtuel). Quant aux deux zones de vacances (regroupant février et Pâques), c’est un saucissonnage géographique qui uniformisera les coûts des colonies de vacances pour les riches, tout en isolant les ruraux sans options locales.
Ne nous y trompons pas : cette convention n’est pas une « révolution de l’action publique des mille premiers jours jusqu’à 20 ans », comme le claironnait Macron en 2024. C’est la troisième du genre – après le climat (2019-2020, dont les propositions ont été diluées dans des gadgets verts) et la fin de vie (2022-2023, encore en gestation parlementaire). Six mois, 80 experts auditionnés, un panel de 20 enfants consultés, 30 ateliers régionaux : un barnum à 74 pages qui atterrira sur le bureau du chef de l’État et du Premier ministre, sans engagement ferme. Souvenez-vous : les citoyens climatiques pleuraient la trahison ; ici, on nous vend déjà l’application « en 2026 » comme un horizon flou. Pendant ce temps, l’Éducation nationale saigne : suppressions de postes, programmes surchargés, PISA en chute libre. Les enseignants, dans Le Figaro, balaient d’un revers de manche : « Il faut arrêter de dire que les journées des élèves sont épuisantes. » Les syndicats comme le SNES-FSU dénoncent un « paradoxe » : des idées anti-inégalités qui, sans budget, les amplifieront. Stéphane Bonnéry, professeur à Paris-VIII, tape dans le mille dans L’Humanité : « À qui fera-t-on croire que l’on peut apprendre plus et mieux en moins de temps ? » Ces propositions, nées de bonnes intentions, masquent l’essentiel : l’école française n’a pas besoin de réaménagements cosmétiques, mais d’investissements massifs en enseignants, en infrastructures, en égalité territoriale. Au lieu de ça, on tire au sort 130 bien-pensants pour légitimer l’inaction, tout en laissant les vrais acteurs – profs, parents, gosses – sur le carreau.
En fin de compte, ce rapport n’est qu’un miroir aux alouettes : il flatte l’ego participatif de Macron, tout en perpétuant un système qui broie les enfants au nom de la « performance ».
Réduire les inégalités ? Allons : sans aborder frontalement la pauvreté scolaire, les déserts éducatifs ou la surcharge administrative des profs, ces 20 propositions ne sont que du vent. Elles risquent même d’aggraver le chaos, en surchargeant les mardis-jeudis sans filet social.
Les citoyens de la convention ont été « pleinement emparés du champ des possibles », dixit Le Monde. Mais le possible, en France 2025, c’est surtout l’impuissance budgétaire et la démagogie verte-jaune. Il est temps d’arrêter ces simagrées. Si l’on veut vraiment « structurer les temps de l’enfant » pour leurs apprentissages, santé et développement, qu’on commence par restaurer un service public d’éducation digne de ce nom : plus de moyens, moins de postures.