Dans un contexte de tensions budgétaires et de hausses d'impôts annoncées pour 2025, les grands patrons français multiplient les signaux d'alarme. Bernard Arnault, PDG de LVMH, a ouvertement critiqué la surtaxe sur les sociétés, la qualifiant de "taxe sur le made in France" qui "pousse à la délocalisation". De son côté, Stellantis annonce un investissement massif de 13 milliards de dollars aux États-Unis, alimentant les spéculations sur un exode des fleurons tricolores. Mais la réalité est-elle si noire ? La France risque-t-elle de perdre ses champions au profit d'un Amérique trumpiste plus accueillant fiscalement ? Retour sur ces mouvements et une analyse des enjeux.
Le budget 2025 du gouvernement français prévoit une mesure controversée : une surtaxe exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés pour les entreprises réalisant plus de trois milliards d'euros de chiffre d'affaires, portant le taux effectif à environ 40 % pour un an. Cette disposition, censée rapporter 8 milliards d'euros à l'État, cible une quarantaine de géants comme LVMH, TotalEnergies ou Airbus. Mais elle suscite une levée de boucliers chez les dirigeants.Lors de la présentation des résultats annuels de LVMH en janvier 2025, Bernard Arnault n'a pas mâché ses mots. "Quand on revient en France et qu'on voit qu'on s'apprête à augmenter de 40 % les impôts des entreprises qui fabriquent en France, c'est incroyable. Pour pousser à la délocalisation, c'est idéal !", a-t-il lancé. Il a ironisé sur la durée limitée de la mesure : "Personne n'y croit, une fois qu'on a augmenté les impôts de 40 %, qui va les baisser de 40 % ?".
Arnault, récemment de retour d'une visite aux États-Unis pour l'investiture de Donald Trump, a contrasté l'"optimisme" américain avec la "douche froide" française. "Aux USA, les impôts vont descendre à 15 %, les ateliers sont subventionnés dans une série d'États et le président (Trump) encourage ça", a-t-il ajouté, avant d'avouer que son groupe est "fortement sollicité" par les autorités américaines pour implanter de nouveaux ateliers et qu'il y "regarde sérieusement".Cette grogne n'est pas isolée.
D'autres patrons, comme ceux de Kering ou Hermès, expriment des inquiétudes similaires face à une fiscalité perçue comme punitive. Selon des données de l'Insee couvrant 2018-2020, 1,7 % des entreprises françaises de plus de 50 salariés ont déjà opté pour la délocalisation, un chiffre qui pourrait grimper avec les tensions actuelles. Et si les États-Unis, avec leur taux d'imposition corporatif ramené à 15 % sous Trump et des incitations locales, deviennent la destination de choix ?
Stellantis, le géant automobile issu de la fusion PSA-Fiat Chrysler, illustre parfaitement cette dynamique ambivalente. Fin octobre 2025, le groupe a annoncé un investissement de 13 milliards de dollars sur quatre ans pour étendre ses opérations aux États-Unis, incluant l'ajout de plus de 5 000 emplois et le lancement de cinq nouveaux modèles. Cette offensive, centrée sur des sites comme ceux du Michigan, vise à renforcer sa présence sur le marché américain, premier débouché mondial pour l'automobile.Mais attention : il ne s'agit pas d'un départ en fanfare de France. Stellantis, dont le siège est à Amsterdam, maintient une production significative en France (Sochaux, Mulhouse) et emploie des dizaines de milliers de salariés hexagonaux. Cet investissement américain s'explique davantage par la nécessité d'éviter les tariffs douaniers potentiels sous Trump et par la demande locale que par une fuite fiscale pure. "C'est une croissance dans un marché clé", souligne le communiqué du groupe, sans mention d'une réduction des activités françaises.
Au-delà de LVMH et Stellantis, les signaux d'alerte se multiplient, mais les délocalisations complètes restent rares pour les mastodontes. Dans le luxe, Kering (Gucci, Yves Saint Laurent) et Hermès réalisent déjà 15 % de leurs revenus aux États-Unis et surveillent de près les incitations fiscales américaines, sans pour autant annoncer de transfert de siège. Dans l'agroalimentaire, des groupes comme Danone ou Bel adaptent leurs chaînes d'approvisionnement face aux menaces douanières, optant parfois pour des usines locales plutôt que pour une relocalisation totale.Un baromètre européen de janvier 2025 pointe que certains patrons français, lassés de l'instabilité politique, ont "pris les devants" en implantant des opérations aux États-Unis. Des PME dans les semi-conducteurs ou le manufacturing citent la protection de la propriété intellectuelle et les subventions comme motifs pour relocaliser en 2025. Pourtant, les grands groupes hésitent : transférer un siège social implique des coûts colossaux, des disruptions logistiques et un risque de backlash public en France, berceau de leur image "made in France".
La question est brûlante : avec une fiscalité alourdie et un contexte géopolitique tendu (guerre commerciale UE-USA, taux douaniers à 15 % depuis juillet 2025), la France s'expose-t-elle à un exode ? Les entrepreneurs fuient déjà en masse : une vidéo analysant les départs massifs d'entrepreneurs français en 2025 met en lumière les charges sociales record et la double imposition des dividendes comme repoussoirs majeurs. Les élites fortunées, craignant les élections de 2027, protègent leurs actifs en anticipant des hausses fiscales.Pourtant, des atouts persistent : un écosystème innovant (IA avec Mistral), des subventions européennes et une main-d'œuvre qualifiée. Si le gouvernement ajuste sa trajectoire – en limitant la surtaxe ou en offrant des contreparties comme des crédits d'impôt pour l'innovation –, il pourrait retenir ses géants. Sinon, l'appel américain risque de se transformer en vague migratoire. Comme l'avertit Arnault, "c'est idéal pour pousser à la délocalisation". Reste à savoir si Paris saura transformer la menace en opportunité.