Dans une période de turbulences politiques inédites, Bruno Retailleau, président des Républicains (LR), se heurte à une fracture profonde au sein de son parti.
Alors que les militants du parti ont massivement validé sa ligne de "soutien sans participation" au gouvernement de Sébastien Lecornu, les députés LR ont publiquement défié cette position, optant pour une approche plus conciliante. Ce désaveu parlementaire fragilise le leadership de l'ancien ministre de l'Intérieur, déjà ébranlé par la nomination de six figures LR au gouvernement.
Tout a commencé le 6 octobre dernier, lorsque le gouvernement de Michel Barnier a chuté suite à un vote de censure à l'Assemblée nationale. Reconduit à Matignon par Emmanuel Macron, Sébastien Lecornu a formé un nouveau cabinet incluant plusieurs personnalités de droite, dont six ministres issus de LR : Annie Genevard, Rachida Dati, ou encore François Bayrou dans un contexte élargi. Cette composition a provoqué une bronca au sein des Républicains. Bruno Retailleau, qui avait contribué à la chute de Barnier en critiquant sa "dissolution dans le macronisme", a immédiatement annoncé son refus de participer à ce "gouvernement otage des socialistes".
Le bureau politique de LR, réuni le 11 octobre, a tranché à une large majorité (74 voix pour sur 104) en faveur d'un "soutien texte par texte" sans participation ministérielle.
Les sénateurs LR, majoritaires au Palais du Luxembourg et alignés sur Retailleau, ont conditionné leur appui au respect de la réforme des retraites de 2023, refusant toute concession sur la pénibilité ou les carrières des femmes.
C'est au niveau des députés que la rébellion a éclaté. Le groupe parlementaire LR, présidé par Laurent Wauquiez – rival historique de Retailleau battu lors de l'élection à la tête du parti en mai dernier –, a voté à une écrasante majorité en faveur d'une participation au gouvernement.
Wauquiez a justifié cette position par la menace d'une dissolution et d'élections législatives face au Rassemblement national (RN), arguant : "Nous ne ferons pas partie des extrêmes qui font tomber les Premiers ministres".
Lors de l'examen des motions de censure contre Lecornu le 15 octobre, les députés LR ont suivi cette consigne, refusant de voter la censure malgré les appels de Retailleau à un "pacte avec le diable". Une seule élue LR a voté pour les motions de LFI et RN, tandis que deux se sont abstenues.
Ce choix a permis au gouvernement d'échapper à la censure, mais a accentué les tensions internes. "Ça a été d'une grande violence", confie un cadre LR, décrivant des échanges tendus lors des réunions parlementaires.
Les six ministres rebelles ont d'ailleurs été exclus du parti dimanche soir, une mesure qui n'a pas empêché leur intégration au cabinet Lecornu.
Retailleau, accusé d'avoir "perdu son calme dans la tempête", est désormais perçu comme un leader fragilisé, avec des proches admettant qu'il doit "conserver le soutien de l'électorat LR".

Pour consolider sa position, Retailleau a lancé une consultation des militants les 13 et 14 octobre, demandant s'ils soutenaient la décision du bureau politique de refuser la participation au gouvernement.
Le résultat, dévoilé le 14 octobre, est sans appel : 75 % des votants se sont prononcés contre toute participation.
Ce soutien massif de la base – les "sympathisants" fidèles à la ligne dure de Retailleau – contraste violemment avec la défiance des élus de terrain, souvent plus pragmatiques face aux réalités électorales.Cette victoire symbolique chez les militants renforce Retailleau dans sa posture d'opposant intransigeant, flirtant même avec des appels à l'alliance à droite extrême, comme l'a relevé Éric Ciotti.
Pourtant, elle ne masque pas la crise de leadership : Wauquiez prépare déjà une réunion de son groupe pour affirmer son emprise, et des voix internes qualifient Retailleau d'"étoile filante".
Cette séquence révèle les fractures profondes de LR, miné par les rivalités internes et la tentation macroniste. Alors que le parti risque l'implosion, Retailleau doit naviguer entre la base qui l'adule et les parlementaires qui le contournent.
Avec la réforme des retraites suspendue et un budget en suspens, la droite républicaine entre dans une période d'incertitude totale. Le "syndicat des ministres LR sortants" – comme le moque un député – pourrait bien signer la fin d'une ère pour Retailleau.