À la veille d'une année 2026 marquée par les élections municipales et sénatoriales, le gouvernement Lecornu dégaine un plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, doté de 36 mesures pour la période 2025-2029.
Adopté le 14 novembre, ce document – piloté par l'Agence française anticorruption (AFA) – est présenté comme une réponse ferme à l'explosion des signalements : près du double en 2024 par rapport à l'année précédente, avec 191 000 Français confrontés à des atteintes à la probité en 2022 et une hausse de 8,2 % des infractions constatées par la police.
"Lutter contre la corruption, c'est protéger la démocratie", clame le ministère de l'Économie. Mais derrière ces 36 mesures structurées en quatre axes, n'y a-t-il pas un habile coup de com' pour polir l'image d'un exécutif fragilisé, sans toucher aux racines du mal ?
Décryptage d'un plan qui sent le timing électoral.
Un contexte alarmant : la corruption, fléau national en pleine recrudescence
Les chiffres ne mentent pas : entre 2014 et 2023, les poursuites pour atteintes à la probité ont bondi de 35,46 %, et 70 % des Français jugent la corruption "répandue" dans l'Hexagone – un score en légère hausse par rapport à la moyenne européenne de 68 %. Les signalements à l'AFA ont explosé, dopés par les affaires judiciaires récentes : de McKinsey à la vente d'Alstom, en passant par les soupçons sur les marchés publics post-Covid.
Les 36 mesures : ambitieuses sur le papier, floues dans l'exécution
Structuré en quatre axes, le plan vise à "protéger et accompagner" administrations, collectivités et entreprises contre les violations d'intégrité, y compris celles liées à la criminalité organisée. Voici un aperçu synthétique des axes et mesures phares, tirés du document officiel :
| Axe | Objectifs clés | Mesures emblématiques (sur 36 au total) |
1. Renforcer la prévention et la détection dans les administrations régaliennes | Cibler les secteurs sensibles (défense, justice, finances) via formation et alertes. | - Création d'un comité interministériel piloté par l'AFA. - Désignation d'un coordonnateur anti-probité par ministère. - Recensement des fichiers publics à risque et habilitation renforcée pour les agents (criblage sécuritaire). |
2. Accompagner les collectivités territoriales | Soutien aux petites structures, souvent vulnérables. | - Clarification du cadre légal et guides pratiques pour les marchés publics. - Formation obligatoire pour les élus et agents locaux. - Soutien financier pour les audits internes. |
3. Sensibiliser et former les acteurs économiques | Focus sur PME/ETI et professions réglementées (avocats, financiers). | - Campagnes de sensibilisation et modules e-learning anti-corruption. - Partenariats avec les chambres de commerce pour les entreprises exportatrices. |
4. Composante européenne et internationale | Répondre à l'instabilité globale (ingérences, criminalité transnationale). | - Promotion d'une stratégie UE anti-corruption. - Renforcement des échanges avec Europol et le GRECO. - Mesures contre la corruption portuaire et les flux illicites. |
Ces mesures, si elles paraissent exhaustives, peinent à innover : beaucoup recyclent des engagements du plan précédent, comme la formation des agents (déjà prévue en 2020). Où est la sanction accrue pour les lanceurs d'alerte réprimés, ou la transparence sur les hauts fonctionnaires ?
Le plan intègre un volet "international" louable, mais sans moyens concrets, il risque de rester lettre morte.
Dans un pays classé 21e au Corruption Perceptions Index 2024 (score 71/100, en baisse), ce document arrive après des années d'inaction relative. Pourquoi pas plus tôt, au lieu d'attendre l'explosion des signalements ? Transparency France pointe une "gestation laborieuse" qui suscite "des interrogations légitimes" : manque de consultation des acteurs de la société civile, et une focalisation trop étatique, ignorant la corruption privée ou politique (lobbying, financements occultes).
Ce plan de 36 mesures n'est pas à jeter : la création du comité interministériel et le soutien aux collectivités sont des pas concrets. Mais sans dotation budgétaire (estimée à zéro pour l'instant), sans sanctions dissuasives et sans indépendance accrue pour l'AFA, il risque de finir aux oubliettes, comme tant d'autres. À l'approche de 2026, les Français – 70 % d'entre eux – méritent plus qu'un catalogue : une réforme profonde, incluant une Haute Autorité indépendante anti-corruption et une transparence totale sur les déclarations de patrimoine. Sinon, ce sera du vent électoral, protégeant les élites au lieu de les épurer.
Lecornu a les moyens d'agir : qu'il passe des mots aux actes, avant que les urnes ne sanctionnent cette "démocratie protégée" en peau de chagrin.
La corruption n'est pas un slogan ; c'est un cancer à extirper.