La plupart des découvertes scientifiques sont fausses.

 |  par Patrick JEAN-PIERRE
Le chercheur américain John Ioannidis, professeur à Stanford, aime depuis quelques années lancer de bons gros pavés dans la mare de la science et en particulier dans celle de la biomédecine.
En 2005, dans un article publié par PLoS Medicine et intitulé "Pourquoi la plupart des découvertes publiées sont fausses", il montrait que les bases statistiques sur lesquelles s'appuyaient bon nombre d'études n'étaient pas suffisamment rigoureuses pour que les résultats obtenus aient une véritable valeur et que les biais étaient légion dans la conception d'essais cliniques censés décider de la mise sur le marché de médicaments. Ce sans oublier les intérêts financiers qui faisaient pression pour l'obtention de résultats. Depuis 2005, ce texte, devenu un classique, a été consulté près de 1,2 million de fois en ligne, un record. Aujourd'hui, John Ioannidis va plus loin, en signant un article acide publié le 21 octobre par PLoS Medicine, surmonté d'un autre titre provocateur ("Comment faire en sorte que plus d'études publiées soient vraies"...) où il met de nouveau les pieds dans le plat de la recherche scientifique.
On le comprend d'entrée de jeu, le but de John Ioannidis n'est pas de démolir la science ni ceux qui la font à grands coups de démonte-pneu. Son objectif consiste à améliorer le fonctionnement de la recherche car la marge de manœuvre, suggère-t-il, est grande. Dans l'énoncé du diagnostic, le chercheur américain, spécialiste de questions de santé, ne fait pas dans le diplomatique mais plutôt dans le direct. Il a recensé, entre 1996 et 2011, plus de 25 millions d'études scientifiques publiées, signées par quelque 15 millions de personnes de par le monde. Une quantité phénoménale d'articles, donc, à comparer avec un nombre de découvertes importantes beaucoup plus modeste.
Certes la science a pour règle de marcher lentement, presque de manière besogneuse, parce qu'il faut beaucoup de tours de chignole pour faire une percée et être sûr qu'on l'a bien réalisée. Mais John Ioannidis est convaincu depuis des années que le problème principal est ailleurs, qu'il est dû au fait que le système de recherche ne fonctionne plus correctement et que la plupart des "découvertes" qu'il engendre ou enregistre n'en sont pas : par la faute de protocoles inadaptés, de biais, de mauvais traitements statistiques voire de malhonnêteté intellectuelle, les résultats soi-disant significatifs sont trop souvent des faux positifs que l'on ne peut reproduire. Au bout du compte, en biomédecine, c'est jusqu'à 85 % des investissements faits dans les recherches qui sont perdus, soit un total annuel astronomique de 200 milliards de dollars ! Une autre estimation, moins précise, évoque un gâchis portant sur "des dizaines de milliards de dollars".
Or, selon l'auteur, le système fait peu pour se réformer, pour regagner en efficacité et donc en crédibilité auprès du public. John Ioannidis fait une description, en termes choisis mais qui contiennent souvent leur dose de vitriol, d'un monde académique parfois sclérosé où les personnes qui attribuent les budgets publics de recherche sont rarement de grands chercheurs, où le conservatisme le dispute au népotisme et au sexisme. Le paragraphe qu'il consacre au conflit d'intérêts vaut son pesant de cacahuètes : "Il arrive parfois que la même personne porte plusieurs chapeaux : un chercheur universitaire peut aussi diriger une revue, posséder une start-up, être membre d'une société savante, conseiller gouvernemental et/ou toucher de l'argent de l'industrie."
L'article n'aurait pas grand intérêt si John Ioannidis se contentait de critiquer. Mais le chercheur, qui co-dirige aussi depuis le printemps le Metrics (Meta-Research Innovation Center at Stanford), une institution travaillant justement sur l'amélioration des processus de recherche, est venu avec deux batteries de propositions. La première concerne la manière de mener des études et met l'accent sur le cheval de bataille de John Ioannidis : une plus grande collaboration entre les équipes pour obtenir des échantillons plus importants et des résultats sans équivoque ; inciter à la reproduction des travaux pour s'assurer que les effets mesurés sont réels, ce qui passe par une standardisation et un partage totalement transparent des protocoles, du matériel de recherche et des résultats. John Ioannidis insiste aussi sur un point sensible : la mise en place de critères plus stricts avant de crier à la victoire, à la découverte. Le but, écrit-il, est de réduire les faux positifs "dans les domaines qui ont jusqu'ici été trop accomodants (comme l'épidémiologie, la psychologie ou l'économie). Cela pourrait leur conférer une crédibilité plus importante, comparable à celle des secteurs qui ont traditionnellement été plus rigoureux de ce point de vue, comme les sciences physiques."
La seconde batterie de propositions est bien plus iconoclaste puisqu'elle touche non plus à la manière de faire des études mais à celle dont le petit monde de la recherche les "valorise". Sans jamais citer la fameuse formule "Publie ou péris", John Ioannidis explique que, dans le système scientifique, les articles publiés sont comme une monnaie : ils servent à obtenir des "biens" (un poste, un échelon hiérarchique). Cela n'est pas sans conséquence puisqu'on voit parfois certains chercheurs avoir une production prolifique de travaux médiocres voire non-reproductibles, en profiter pour monter dans les hiérarchies, entrer dans les revues, bénéficier de renvois d'ascenseur et obtenir leur signature dans une étude pour laquelle ils n'ont donné qu'un avis, etc. J'ai moi-même pu constater que certains adoptaient ce que John Ioannidis appelle (joliment) la technique du "salami", qui consiste à découper une recherche en tranches, en sous-sections, et à "vendre", sur la base d'une seule expérience, plusieurs études à des revues différentes...
A l'opposé, le système actuel ne récompense que mal ou pas du tout ceux qui veulent reproduire les expériences des autres pour vérifier leurs résultats ou ceux qui s'investissent à fond dans la relecture des articles des confrères. Seule l'étude publiée importe. John Ioannidis propose donc de modifier la manière dont la bibliométrie est prise en compte dans l'évaluation des chercheurs, de ne pas donner de valeur aux publications per se mais d'en accorder à celles qui ont été confirmées ou à celles qui ont "marché" parce qu'elles se sont transformées, dans le domaine de la biomédecine par exemple, en traitement efficace, en test de diagnostic fiable, etc. De la même manière, le travail de peer review, travail de l'ombre très chronophage si on veut le faire correctement, doit être récompensé. A l'inverse, une étude dont les résultats n'ont pas été reproduits ferait perdre des points avec le barème de John Ioannidis. Celui-ci va même beaucoup plus loin en suggérant que l'obtention de titres ou de postes prestigieux doit automatiquement s'accompagner d'un handicap en points si l'apport du chercheur à la science n'est pas proportionnel aux pouvoirs ou aux fonds qui lui ont été attribués. On se dit d'ailleurs, à voir la carte de visite de John Ioannidis, que ce dernier partirait avec un gros handicap...
Le chercheur américain a conscience que son scénario est "délibérément provocateur" et qu'il risquerait par exemple de décourager les ambitions de ceux qui veulent diriger un laboratoire. Néanmoins, l'article a le mérite de pointer les détails qui font mal, notamment le gâchis en temps et en argent que représentent toutes ces études dont les résultats ne se retrouvent jamais. A fréquenter chercheuses et chercheurs depuis presque dix-huit ans, j'ai entendu ici ou là, souvent sur le ton de la confidence, la plupart de ces critiques. Il y a quelque chose de sain et de salutaire à les voir, sans tabou, rassemblées sur la place publique.


Partager cet article

La discrimination capillaire : Refusons d’être de mèche !
Politique

La discrimination capillaire : Refusons d’être de mèche !

Une proposition de loi visant à interdire la « discrimination capillaire » a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 mars 2024. Elle ...
Octroi de mer : « Le statu quo n'est plus possible sur le dernier impôt colonial qu'il nous reste» selon P.Jock
Économie

Octroi de mer : « Le statu quo n'est plus possible sur le dernier impôt colonial qu'il nous reste» selon P.Jock

Si pour la Cour des Comptes l'octroi de mer est une taxe à la croisée des chemins, sa réforme annoncée constitue un véritable casse-tête pour les Drom. Dans...
Outre-Mer : Une Justice Moribonde ?
Société

Outre-Mer : Une Justice Moribonde ?

La Justice en outre-mer fait depuis toujours, couler des rivières d’encre. « Inégale, à charge, à deux vitesses, scélérate », nombreux sont les ultramarins q...
Biélorussie : Loukachenko plus que jamais au pouvoir ?
Europe

Biélorussie : Loukachenko plus que jamais au pouvoir ?

Le chef d’État biélorusse Alexandre Loukachenko a déclaré qu’il se présenterait à nouveau à l’élection présidentielle de son pays en 2025, a rapporté dimanch...
Le chef de l’ONU condamne les attaques de l’Iran contre Israël, réunion du Conseil de sécurité dimanche
Monde

Le chef de l’ONU condamne les attaques de l’Iran contre Israël, réunion du Conseil de sécurité dimanche

Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a condamné samedi « la grave escalade que représente l’attaque à grande échelle lancée ce soir contre Israë...
Plus de 170 tortues marines mortes congelées aux Etats-Unis
Santé-Environnement

Plus de 170 tortues marines mortes congelées aux Etats-Unis

Elles ont été retrouvées à Cape Cod, dans le Massachusetts, prises au piège par le froid et le vent. En tant qu'ectothermes, ou animaux à sang froid, les to...
Adieu Maryse Condé et au revoir à travers ton oeuvre
Culture

Adieu Maryse Condé et au revoir à travers ton oeuvre

Les obsèques de l'écrivaine Maryse Condé, exploratrice des identités antillaises et noires, vendredi à l'église Saint-Germain-des-Prés à Paris. La romancièr...
Giani Catorc : l'étoffe d'un champion entre vitesse et motocross
Sports

Giani Catorc : l'étoffe d'un champion entre vitesse et motocross

Giani Catorc n'a que 16 ans et déjà 3 titres de Champion de France et 2 titres de Champion d'Europe. Les champions français viennent de tout bord. Giani Cat...
GÉRARD LECLERC : le journaliste a trouvé la mort dans un accident d'avion
People

GÉRARD LECLERC : le journaliste a trouvé la mort dans un accident d'avion

Le journaliste de CNEWS Gérard Leclerc a disparu ce mardi 15 août dans le crash d’un petit avion de tourisme qu’il pilotait à Lavau-sur-Loire (Loire-Atlantiq...

Veuillez activer le javascript sur cette page pour pouvoir valider le formulaire



©2021 Patmédias, tous droits réservés - Réalisation agence web corse

Haut de page
  • ► La flamme olympique des JO de Paris a été allumée mardi en milieu de journée sur le site antique d'Olympie, en Grèce, à quelque 100 jours de la cérémonie d'ouverture du 26 juillet. La flamme a ensuite été transportée au stade antique d'Hestadia pour être transmise au premier relayeur, le champion olympique grec d'aviron Stefanos Ntouskos, qui l'a transmise à l'ancienne nageuse Laure Manaudou, première relayeuse française.

  • ► Un an après l’échec de l’opération Wuambushu, le gouvernement mise désormais sur le dispositif «place nette» déployé dans l’Hexagone pour venir à bout de la violence qui déstabilise Mayotte. Invitée de «Télématin» sur France 2 ce mardi, la ministre déléguée chargée des Outre-mer, Marie Guévenoux, a ainsi annoncé le lancement d’une opération «Mayotte place nette». «Depuis ce matin dès l’aube à Mayotte, deux opérations, une de police et une de gendarmerie, ont lieu sur le terrain, dans deux points différents de l'île. [...] Ce matin, il y a 400 policiers et gendarmes sur le terrain», a-t-elle indiqué.

  • ► Emmanuel Macron a salué mardi le rôle de deux Français, de "véritables héros", qui se sont interposés lors d'une attaque au couteau en Australie qui a fait six morts samedi dans un centre commercial de Sydney.

  • ► Le bâtiment historique de l'ancienne Bourse de Copenhague, datant du XVIIe siècle et actuellement en travaux, a pris feu mardi et sa flèche emblématique s'est effondrée devant des Danois médusés.

  • ► L'eurodéputé allemand Markus Pieper a annoncé lundi qu'il renonçait à un poste hautement rémunéré à la Commission européenne, après une polémique qui menaçait la campagne électorale de la présidente Ursula von der Leyen à quelques semaines des élections européennes.

  • ► L'écrivain Salman Rushdie raconte dans "Le Couteau", un livre mémoire qui sort mardi aux États-Unis et jeudi en France, l'attaque qui a failli le tuer en 2022, dernier épisode d'une vie sous la menace depuis ses "Versets sataniques".

  • ► Israël promet "une riposte" à l'attaque massive et sans précédent lancée par l'Iran, malgré les appels de nombreux pays, y compris son allié américain, à éviter une escalade dans une région déjà endeuillée par la guerre en cours dans la bande de Gaza.

  • ► Le Royaume-Uni pourrait progressivement devenir un pays sans tabac. Les députés débattent mardi d'un projet de loi selon lequel les jeunes de moins de 15 ans aujourd'hui ne se verront jamais vendre légalement de cigarettes. Le tabagisme est la principale cause de mortalité évitable au Royaume-Uni, selon le gouvernement.

  • ► Un comité d'élus américains a accusé mardi les autorités chinoises de participer indirectement à la production de fentanyl, un puissant opiacé responsable de la mort de dizaines de milliers de personnes chaque année aux États-Unis.

  • ► Un établissement scolaire de Londres, réputé pour ses règles strictes, a remporté mardi son procès contre une élève musulmane qui contestait l'interdiction de faire ses prières dans l'école, estimant que cela allait à l'encontre de sa liberté religieuse. Cette élève avait attaqué devant la Haute Cour de justice la Michaela Community School, une école «libre» située à Wembley, un quartier du nord-ouest de Londres, estimant être victime d'une politique discriminatoire.

  • ► Les procédures de rappel continuent. Cette fois ce sont des pizzas «reine, chèvre-miel, alsacienne, franc-comtoise et thon» sur lesquelles le site Rappel Conso alerte. D’abord distribuées par Auchan Avallon (Yonne), elles ont ensuite été commercialisées dans le reste de la France entre le 8 et le 12 avril. En cause ? La «présence possible» de débris de verre dans l'un de leurs ingrédients, «l'origan en feuille». Elles ont une date de péremption fixée au 12 avril.

  • ► Battus à domicile (2-3) par Barcelone au match aller, le PSG et Kylian Mbappé n'ont plus d'autre choix que de s'imposer en Catalogne pour espérer se qualifier en demi-finale de Ligue des champions.