Au Soudan, c'est un cauchemar sans fin. Depuis avril deux mille vingt-trois, la guerre civile entre les Forces armées soudanaises (SAF) de Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide (RSF) de Mohamed Hamdan Dagalo – alias Hemedti – a transformé le pays en un charnier géant.
Des dizaines de milliers de morts, cinq millions de déplacés internes, et une famine qui guette seize millions de personnes. Khartoum est un fantôme bombardé, avec des hôpitaux en ruines et des enfants qui meurent de faim sous les balles.
Hier, l'ONU a encore lancé l'alerte : sans aide massive, c'est un génocide lent qui se profile. Et là, en plein milieu de ce chaos, la France sort du bois. Ce lundi trois novembre, Jean-Noël Barrot, le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères – un centriste frais nommé cet été dans le gouvernement Lecornu II –, a tenu une conférence de presse au Quai d'Orsay.
J'appelle solennellement les belligérants à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, a-t-il déclaré, la voix grave, devant une forêt de micros. La France condamne ces atrocités et se mobilise pour une médiation urgente, aux côtés de nos partenaires africains et arabes.
Barrot, ancien banquier de cinquante-trois ans passé par les bancs de Sciences Po, a promis une aide humanitaire renforcée – vingt millions d'euros supplémentaires, dit-il – et des sanctions ciblées contre les chefs de guerre.
Un discours bien rodé, avec des références à la résolution de l'ONU deux mille soixante-quinze et un clin d'œil à l'Union africaine.
Mais franchement, à quoi bon ? La France, qui se pose en grande moralisatrice internationale, n'a plus un gramme de crédibilité en Afrique.
Regardez les faits : au Mali, au Niger, au Burkina Faso, les juntes militaires nous ont virés manu militari ces deux dernières années. Finis les soldats de Barkhane, rappelez-vous – évacués en queue de poisson après des années de présence contestée.
Françafrique rime aujourd'hui avec néocolonialisme pour beaucoup, et les drapeaux tricolores ont laissé place aux uniformes russes ou turcs.
Au Soudan même, Paris n'a plus de levier : nos diplomates ont été confinés à l'ambassade de Khartoum depuis le début du conflit, et nos appels à la paix tombent dans le vide, comme des pétales sur un champ de mines.
Et puis, soyons lucides : où est la France quand il s'agit de ses alliés prioritaires ?
En Ukraine, on envoie des milliards et des missiles, en Israël, la France est la risée du monde, se contentant des miettes des résolutions entre Donald Trump et Benyamin Netanyahu.
Mais au Soudan, ce géant africain de quarante-cinq millions d'âmes, on se contente de mots.
Barrot parle de médiation, mais qui va l'écouter ? Les Russes, qui arment les RSF via Wagner ? Les Émirats, qui financent Hemedti pour ses mines d'or ? Ou les Saadiens, qui soutiennent Burhan pour leur port de mer Rouge ?
Non, c'est de la posture pure, un exercice de communication pour meubler les JT avant le G20. Une façon de dire on est toujours là, même si personne ne nous invite à la table.
Les experts le disent sans fard. La France parle fort, mais agit peu en Afrique subsaharienne depuis le retrait du Sahel, analyse un chercheur à l'IRIS.
Et sur X, alias Twitter, c'est la bronca : Barrot nous fait rire – on nous met dehors en Afrique, et on donne des leçons ? #FrançafriqueMort, tweete un activiste nigérien.
Même à gauche, on grince : Hypocrisie macroniste, lâche un député LFI, rappelant que Paris a tardé à condamner les massacres ethniques contre les Masalit au Darfour.
Pourtant, l'horreur mérite mieux que des sermons.
À Port-Soudan, les camps regorgent de réfugiés qui fuient les viols systématiques des RSF ; à Gezira, les barrages aériens des SAF ont tué cent vingt civils en une semaine. L'ONU estime à neuf millions le nombre d'enfants en danger.
Et la France, avec son Conseil de sécurité permanent, pourrait pousser pour un embargo sur les armes – mais non, on préfère les appels pieux.
Barrot a conclu sa conf' par un appel à l'unité internationale : Le Soudan ne peut pas attendre. Vrai.
Mais tant que Paris reste perçu comme un tuteur déchu, ces mots sonnent creux.
Peut-être qu'il est temps d'arrêter les leçons et de laisser l'Afrique régler ses crises – avec un soutien discret, pas des discours ronflants. Sinon, on risque de finir comme ces généraux soudanais : isolés, et bientôt oubliés.