Polémique laïque en pleine rentrée : le ministre de l'Éducation refuse de prononcer Toussaint et divise la France
À peine nommé à la tête du ministère de l'Éducation nationale, Édouard Geffray, le technocrate chevronné issu des rangs de la haute fonction publique, a déjà réussi l'exploit de cristalliser les tensions autour de la laïcité républicaine.
Édouard Geffray esquive le mot Toussaint sur TF1 et rallume le débat. C'est dans le calme apparent d'une matinale télé que la tempête s'est levée ce lundi trois novembre. Invité de Bonjour ! sur TF1, aux côtés de Bruce Toussaint, Édouard Geffray, ministre de l'Éducation nationale depuis à peine trois semaines, s'est retrouvé piégé par une question anodine sur le calendrier scolaire.
Comment les Français réservent-ils les vacances de la Toussaint aux enfants dans les transports en commun ?, lance le journaliste, l'air de rien. Mais Geffray, ce haut fonctionnaire de cinquante-huit ans passé par les cabinets de Matignon, dévie aussitôt : Les Français en ont besoin, l'une ou l'autre expression. Et vous ? En tant que ministre, vous dites quoi ? Moi, je pense qu'il y a un certain nombre de repères sémantiques qui sont connus, comme la Constitution de Grenoble. C'est un certain nombre... Aucune signification pour les Français en fonction de leur de leur de...
La phrase, hachée par l'émotion ou un micro capricieux, s'achève sur un silence gêné. Pas un seul Toussaint prononcé. À la place, un glissement subtil vers vacances d'automne ou d'hiver, comme si le mot même de la fête des Morts était un tabou républicain.
La séquence, diffusée à sept heures trente précises, n'a duré que deux minutes, mais elle a suffi à enflammer les plateaux et les timelines. On se souvient d'ailleurs il y a quelques semaines de ce comité de théologie, vous voulez revenir, ce n'est pas un aspect contraignant mais quand même, avait-il ajouté plus tôt, évoquant vaguement un comité interministériel sur l'intégration laïque – une référence obscure à des discussions internes sur les symboles religieux à l'école.
Geffray, nommé le douze octobre dans le gouvernement Lecornu II, succède à Elisabeth Borne dans un ministère sous tension : grèves à répétition, pénurie d'enseignants, et une rentrée deux mille vingt-cinq marquée par quarante-neuf mille élèves handicapés sans accompagnant.
Mais ce matin-là, l'actualité brûlante des Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap (AESH) passe au second plan. C'est ce refus – ou cette maladresse ? – de nommer les vacances du dix-huit octobre au quatre novembre qui fait le buzz.
Les renclaires , le plus montre qu'ils disparaissent sont du pays qui a fait plus de deux mille [réformes ?], bafouille-t-il encore, avant de conclure : Il va être assez rationnel. Le cas où je sais que la compétence reste encore en vacances de la Toussaint puisque pour ces vacances-ci, c'est déjà problème par les arrêtés.
Un charabia qui sonne comme un aveu : le calendrier est figé par décret, mais le vocabulaire, lui, est en débat.
Sur X (ex-Twitter), le hashtag #GeffrayEffaceLaToussaint explose en moins d'une heure, porté par la droite conservatrice.
C'est une faiblesse politique flagrante ! Nos traditions chrétiennes ne sont pas des 'repères sémantiques' à négocier, tonne un député Les Républicains, citant la fameuse Constitution de Grenoble – une allusion maladroite de Geffray à l'édit de tolérance de mille sept cent eighty-huit, qui a sans doute voulu dire autre chose.
Marine Le Pen, fidèle à elle-même, y voit un nouveau pas vers l'islamo-laïcité qui rase notre identité.
À l'opposé, les associations laïques comme la Fédération nationale de la libre pensée jubilent : Enfin un ministre qui assume la neutralité ! Adieu les reliques confessionnelles dans l'école publique.
Les syndicats ? Le Snuipp-FSU, qui avait poussé un amendement similaire au Conseil supérieur de l'éducation (CSE) fin octobre, salue un signal positif pour l'inclusion.
Mais le SNALC, plus conservateur, grince : Au lieu de renommer des vacances, occupez-vous des classes à quarante élèves !
Geffray n'est pas un néophyte : inspecteur général depuis deux mille huit, il a piloté les réformes des rythmes scolaires sous Hollande et les évaluations sous Macron. Pourtant, cette sortie matinale révèle les fractures d'un pays où la laïcité, loi de mille neuf cent quatre, est à la fois bouclier et épée.
On imagine que comme vous tous, vous souhaitez les bonnes vacances de la Toussaint, les bonnes vacances de Noël, les bonnes vacances d'automne ou d'hiver, avait-il concédé, cherchant un compromis bancal. Mais en refusant de trancher.
Il laisse la porte ouverte à l'évolution. Vous pensez que ça peut évoluer ? Je pense que honnêtement, les Français en ont besoin, ajoute-t-il, comme pour apaiser.
Au ministère, on dédramatise. C'était une réponse nuancée, pas une déclaration de guerre, confie un conseiller à l'AFP en off.
Mais le timing est cruel : pile au lendemain des vacances, alors que les cimetières se vident encore de leurs chrysanthèmes.
Et si cette polémique, née d'une transcription approximative masque un vrai malaise ? Geffray prépare déjà la rentrée deux mille vingt-six, avec ses uniformes obligatoires et ses budgets serrés. Mais pour l'instant, c'est le mot Toussaint qui hante les ondes. En attendant, les parents français, eux, rangent les cartables sans se soucier des noms. Automne ou saints, l'essentiel reste le break.
Reste à savoir si le CSE, réuni la semaine prochaine, osera rouvrir le dossier. Ou si Geffray, tel un funambule, saura rebondir sans tomber dans le piège identitaire.
Affaire à suivre – et bonne fin de vacances, quel que soit le label.