Depuis le 18 août 2025, le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, est en visite officielle en Nouvelle-Calédonie pour tenter de préserver l’accord de Bougival, signé le 12 juillet 2025, mais rejeté par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), principal mouvement indépendantiste de l’archipel. Ce jeudi 21 août, Valls a lancé un « comité de rédaction » chargé de traduire cet accord en loi constitutionnelle, malgré l’opposition marquée des indépendantistes, qui dénoncent un texte incompatible avec leurs aspirations à la souveraineté. Cette visite intervient dans un contexte tendu, marqué par les émeutes de mai 2024, qui ont causé 14 morts et des milliards d’euros de dégâts, et par des divisions internes au sein du mouvement indépendantiste.
L’accord de Bougival, négocié à Yvelines sous l’égide de Manuel Valls, propose la création d’un « État de Nouvelle-Calédonie » inscrit dans la Constitution française, doté d’une nationalité calédonienne et de compétences régaliennes potentielles (monnaie, justice, police). Il reporte également les élections provinciales, cruciales pour l’archipel, à mi-2026, une décision contestée par le FLNKS, qui exige leur tenue dès novembre 2025 pour établir la légitimité des acteurs politiques. Qualifié de « compromis historique » par Valls et le président Emmanuel Macron, cet accord vise à stabiliser l’archipel après des décennies de tensions sur la question de l’indépendance.Cependant, le FLNKS a officiellement rejeté l’accord le 13 août 2025, lors d’une conférence de presse à Nouméa, après un congrès extraordinaire tenu le 9 août à La Conception. Selon Dominique Fochi, secrétaire général de l’Union calédonienne (UC) et membre du bureau politique du FLNKS, le texte est « incompatible avec les fondements et acquis de notre lutte » et porteur d’une « logique de recolonisation ». Les indépendantistes reprochent notamment l’absence d’un nouveau référendum sur l’indépendance et une reconnaissance insuffisante de l’identité kanak. Le président du FLNKS, Christian Tein, en visioconférence depuis Mulhouse où il est sous contrôle judiciaire, a dénoncé un « accord à marche forcée » imposé par l’État français.
Arrivé à Nouméa le 19 août, Manuel Valls a multiplié les rencontres avec les forces politiques, les responsables coutumiers, les présidents de province, les maires et les acteurs économiques. Mercredi 20 août, il s’est adressé au Sénat coutumier, exhortant à « saisir l’opportunité historique » de l’accord de Bougival, qu’il considère comme sans « alternative crédible ». Il a ensuite rencontré une délégation du FLNKS, composée principalement de membres de petites formations nationalistes intégrées au mouvement en août 2024, mais sans les représentants ayant négocié l’accord initial, comme le député Emmanuel Tjibaou. Cette discussion, qui a duré deux heures et demie, n’a pas donné lieu à des déclarations publiques immédiates, la délégation devant d’abord rendre compte à Christian Tein.Valls insiste sur la nécessité d’un compromis pour assurer la stabilité économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie, encore marquée par les violences de 2024 et une crise économique profonde, avec une chute de 10 à 15 % du PIB et plus de 10 000 emplois détruits. Il a averti que « sans accord, il n’y aura pas de repreneurs pour le nickel, la pénurie de soignants perdurera et les inégalités continueront de se creuser ». Le FLNKS, de son côté, rejette ce qu’il perçoit comme un « chantage économique » et appelle à un dialogue bilatéral avec l’État, sous la supervision de Tein, pour aboutir à un « accord de Kanaky » d’ici le 24 septembre 2025, visant une pleine souveraineté avant les élections présidentielles de 2027.
L’accord de Bougival conserve le soutien des non-indépendantistes, notamment les Loyalistes et le Rassemblement-LR, qui dénoncent le « reniement » du FLNKS et appellent à la création d’un comité ad hoc pour approfondir ses aspects techniques. L’Éveil océanien, parti « ni-ni », ainsi que les mouvements indépendantistes modérés, le Parti de libération kanak (Palika) et l’Union progressiste en Mélanésie (UPM), ayant quitté le FLNKS en août 2024, soutiennent également le texte. Ces divisions au sein du camp indépendantiste, renforcées par l’intégration de formations nationalistes radicales au FLNKS, compliquent les négociations.Le lancement du comité de rédaction ce jeudi marque une étape clé pour Valls, qui cherche à maintenir l’élan de l’accord malgré le rejet du FLNKS. Ce comité vise à finaliser les textes constitutionnels et à clarifier des points sensibles, comme la reconnaissance de l’identité kanak, que Valls assure être préservée dans l’accord. Cependant, le FLNKS a clairement indiqué qu’il ne participera pas à ce comité, préférant une nouvelle négociation axée sur la souveraineté.
La mission de Manuel Valls, qui s’achève ce vendredi 22 août, est cruciale non seulement pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi pour sa propre crédibilité politique. Comparé à Michel Rocard, artisan des accords de Matignon en 1988, Valls mise sur le dialogue pour éviter un retour des violences. Cependant, le refus catégorique du FLNKS, soutenu par une frange radicalisée, et les tensions persistantes autour du dégel du corps électoral – à l’origine des émeutes de 2024 – rendent la tâche ardue. Les indépendantistes exigent des élections provinciales immédiates et un calendrier clair vers l’indépendance, des demandes auxquelles Valls et les non-indépendantistes s’opposent fermement.Alors que l’archipel reste sous perfusion économique, avec des enjeux cruciaux comme la relance de l’industrie du nickel, l’issue des discussions reste incertaine. Valls, déterminé à ne pas « se résigner », devra naviguer entre les attentes divergentes des parties prenantes pour éviter une nouvelle impasse politique, dans un territoire toujours marqué par les fractures du passé.