Serge Letchimy et Didier Laguerre devant la justice : un procès qui secoue la politique martiniquaise

 |  par Rédaction Patmedias
Depuis le 17 novembre, le tribunal correctionnel de Paris retient le souffle de la Martinique. Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) et figure historique du progressisme local, ainsi que Didier Laguerre, maire de Fort-de-France, comparaissent pour des accusations graves de détournement de fonds publics et de recel. À leurs côtés, Yvon Pacquit, premier adjoint au maire, et Max Bunod, ancien directeur général des services de la ville, affrontent les juges de la 32e chambre correctionnelle. Ce procès, qui s'étend sur trois jours (17, 19 et 20 novembre), pourrait bien redessiner les contours du paysage politique antillais à l'approche des municipales de 2026.
 

Le contexte : une retraite aux allures de scandale

Tout commence en 2016. Serge Letchimy, alors député de la 2e circonscription de Martinique, perd les élections régionales mais reste un poids lourd du Parti progressiste martiniquais (PPM). Héritier spirituel d'Aimé Césaire, l'homme de 72 ans avait été maire de Fort-de-France de 2001 à 2010 avant de gravir les échelons jusqu'à la tête de la CTM en 2021. Pour boucler sa carrière administrative, il est réintégré comme ingénieur territorial à la mairie de Fort-de-France, un poste qu'il avait occupé quinze ans plus tôt .C'est là que le bât blesse. La justice reproche à cette réintégration une violation flagrante du principe de non-cumul des mandats, inscrit dans le Code électoral. En tant que député, Letchimy n'aurait pas pu exercer simultanément des fonctions territoriales. Pourtant, sur décision de Didier Laguerre, maire PPM de la capitale martiniquaise depuis 2010, il perçoit trois mois de salaire (environ 34 000 euros, charges comprises) au titre de "congés exceptionnels retraite". S'ajoute une prime d'incitation au départ à la retraite de 67 552 euros, et surtout, entre avril 2016 et mars 2019, une pension indue de 97 984 euros. Au total, plus de 200 000 euros d'argent public auraient été versés de manière irrégulière.
L'affaire éclate grâce à un rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) en 2019, transmis au Parquet national financier. Ce document met en lumière un "dispositif illégal" validé, selon les accusés, par les services de l'État, mais contesté par les magistrats. Laguerre, interrogé en mars 2022, avait déjà défendu ce plan comme une pratique courante, mise en place par Letchimy lui-même lorsqu'il était maire. Mais pour le parquet, il s'agit d'un montage sophistiqué pour contourner la loi, impliquant recel et détournement.

Les accusations et les défenses : un huis clos tendu

Les débats, ouverts le 17 novembre à 13h30 dans la salle d'audience 407 du tribunal judiciaire de Paris – la même qui a jugé Nicolas Sarkozy récemment –, ont été intenses dès la première journée. Serge Letchimy, interrogé pendant près d'une heure et vingt minutes (de 16h34 à 17h53), est apparu épuisé à sa sortie, selon des observateurs sur place. Il conteste fermement les faits, affirmant que "sa probité est exemplaire après quarante ans de vie politique". Son avocate, maître Céline Burac, a publié un communiqué la veille, insistant sur une "procédure administrative légale et commune". Didier Laguerre, pour sa part, martèle que le dispositif était "appliqué à tout le monde" et validé par l'État. Mais une anecdote révélatrice a marqué l'audition : interpellé sur sa relation avec Laguerre, Letchimy a lâché : "Didier Laguerre n'est pas un ami". Une phrase qui a fait tiquer l'assistance, soulignant les tensions sous-jacentes au sein du PPM. Yvon Pacquit et Max Bunod, accusés d'avoir facilité les paiements malgré un premier refus du comptable public, risquent eux aussi des sanctions lourdes.

Les peines encourues sont dissuasives : jusqu'à dix ans de prison ferme, 1 million d'euros d'amende, inéligibilité et remboursement intégral des sommes. Pour Letchimy, une condamnation pourrait signifier la fin de sa carrière et un vide à la tête de la CTM. Pour Laguerre et Pacquit, c'est la perte immédiate de leurs mandats municipaux qui plane.

un séisme politique en Martinique

En Martinique, l'affaire fait l'effet d'une bombe. Les réseaux sociaux bruissent de commentaires acerbes, avec des hashtags comme #SaKiFetFetMatnik (en créole martiniquais : "Ce qui est fait est fait").
Des médias locaux comme RCI et France Antilles couvrent l'événement au jour le jour, tandis que des sites satiriques comme Bondamanjak ironisent sur un "procès de gala sans assiettes en plastique".
L'opposition, emmenée par des figures indépendantistes, y voit une opportunité de dénoncer un "système PPM pourri". Ce timing est explosif : à six mois des municipales de 2026, ce procès pourrait affaiblir durablement le PPM, déjà ébranlé par la défaite de Letchimy aux régionales. "C'est un séisme pour le parti", analyse un observateur politique cité par Opinion Internationale. Letchimy, qui travaille activement aux réformes institutionnelles de la Martinique, risque l'inéligibilité, laissant un territoire en pleine mutation sans son leader incontesté.

Un verdict qui pourrait tout changer

Les audiences se poursuivront les 19 et 20 novembre, avec des témoignages attendus des services de l'État et des experts comptables. Le verdict, qui pourrait tomber dans les semaines suivantes, sera scruté de près outre-mer. Au-delà des sanctions pénales, c'est la confiance dans les institutions locales qui est en jeu. Pour Serge Letchimy et Didier Laguerre, ce passage devant la justice n'est pas seulement un chapitre personnel : c'est un moment charnière pour la gouvernance martiniquaise, où la transparence et la légalité doivent primer sur les réseaux d'influence.

En attendant, la Martinique retient son souffle. Sa ki fèt fèt, mais l'avenir dira si ce "fait accompli" pèsera sur les urnes de demain.



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