A t-on diagnostiqué un grand remplacement au Centre Hospitalier Universitaire de Guadeloupe ?
Depuis plus d'un mois, des vagues de grèves secouent le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre, touchant des services essentiels comme la cardiologie, la blanchisserie, le bio-nettoyage, les brancardiers et, plus récemment, les aides-soignantes hospitalières (ASH).
Ces mobilisations ne sont pas de simples mouvements corporatistes : elles révèlent des dysfonctionnements structurels profonds, exacerbés par des politiques d'austérité et un manque criant de dialogue. À l'heure où la Martinique voit ses urgentistes suspendre in extremis une grève illimitée, la Guadeloupe risque t-elle de suivre le même chemin ? Rien n'est gagné.
Au cœur de la tempête : le service de cardiologie, entré en grève le 29 septembre 2025 à la suite d'une pétition signée par son personnel. Le motif ? Le retrait de la chefferie du Docteur Laurent Larifla, praticien chevronné au CHU depuis plus de 20 ans. Bien que la direction ait tenté une prolongation d'un an en 2024 suite à ses interpellations, la décision de juillet 2025 a ravivé les tensions. Ce mouvement, qui s'étend désormais à d'autres services, met en lumière un malaise profond dans l'hôpital public antillais.
Selon la secrétaire générale de l'UTS-UGTG, Brigitte AMACIN : le personnel ne comprend pas cette décision qui impacte plusieurs services : unité de soins intensifs,, angiocardiologie…Aucun reproche sur son service. On s’interroge sur cette décision. Cela vient d’un constat , depuis un certain temps, le président de la CME, le professeur BLANCHET avec ses collaborateurs proches, a décidé de décimer tous les chefs de services « antillais » pour nommer des « caucasiens » sans que l'on est connaissance de leur expérience, état de service. Ce sont eux qui sont nommés pour 4 ans alors que les Guadeloupéens sont nommés pour 1 ans.
L'ombre du nouveau CHU de Perrin plane comme un mirage : un projet pharaonique, annoncé pour septembre 2025, mais miné par des retards cumulés, des travaux inachevés et des incidents graves passés sous silence. Ces difficultés exacerbent le malaise des soignants, qui voient dans ces atermoiements la preuve d'un sous-investissement chronique en Outre-mer.
Hier le CHUG s'est désisté dans une procédure contre l'Union des Travailleurs de Santé affiliée à l'UGTG.
Le point sur ce mouvement .
L'ARS, de son côté, monitorise sans s'impliquer pleinement. La direction du CHU reste muette, se contentant de promesses de médiation. Les syndicats, galvanisés, menacent d'une intersyndicale élargie.
Annoncé comme une révolution pour absorber la pression démographique et pathologique de la Guadeloupe (400 000 habitants, vieillissement accéléré, prévalence des maladies cardiovasculaires), le nouveau Centre Hospitalier Universitaire de Perrin – un ensemble de 100 000 m² sur 20 hectares – accumule les reports depuis son lancement en 2018. Initialement prévu pour 2023, puis mars 2024 avec accueil des patients en septembre 2024, le chantier a déjà subi six mois de retard en juillet 2024, repoussant la livraison à début 2025.
Fin décembre 2024, un nouveau glissement : fin des travaux au 31 mars 2025 pour la plupart des bâtiments, et 30 avril pour les derniers.
La date butoir de septembre 2025, évoquée comme horizon réaliste pour l'ouverture effective, s'est envolée.
À ce jour, le 4 novembre 2025, l'hôpital reste un chantier inachevé, avec des équipements critiques – comme les réseaux d'oxygène médical, essentiels pour les unités de soins intensifs – encore en phase d'installation.
Des sources internes pointent des retards liés à des problèmes d'approvisionnement, de certification et de coordination entre entreprises sous-traitantes, aggravés par les contraintes logistiques insulaires (fret maritime, cyclones potentiels). Résultat : le transfert des services du vieux CHU de Pointe-à-Pitre, prévu pour fluidifier les opérations, est gelé, laissant les équipes actuelles dans un precarium exacerbé. Pire, le projet plombe déjà les finances : 61 millions d'euros de dettes accumulées dès septembre 2025, selon des estimations syndicales, dues à des surcoûts imprévus et à un endettement structurel hérité des reports successifs.
La direction du CHU, silencieuse sur ces chiffres, évoque des "ajustements nécessaires" pour une mise en service "mi-2025", mais sans calendrier ferme.
Pour les grévistes, c'est la goutte d'eau : comment mutualiser des services dans un hôpital existant quand le nouveau n'ouvre pas ?
Au-delà des retards techniques, des dysfonctionnements sécuritaires jettent une lumière crue sur la gestion opaque du chantier. Selon des témoignages de personnels et d'observateurs locaux, quatre départs de feu – des incendies mineurs mais récurrents dans des zones de travaux – ont été signalés ces derniers mois, sans communication publique ni mesures correctives immédiates. Ces incidents, survenus dans des secteurs sensibles (locaux techniques, zones de stockage d'équipements médicaux), auraient été minimisés par la maîtrise d'ouvrage pour éviter d'alimenter la psychose autour du projet. Passés sous silence par la direction et l'Agence Régionale de Santé (ARS), ces événements rappellent un précédent sinistre : l'incendie de 2017 au vieux CHU, qui avait paralysé un local technique pendant des heures.
À Perrin, les causes invoquées – courts-circuits lors d'installations électriques, accumulation de matériaux inflammables – soulignent des failles dans les protocoles de sécurité, potentiellement liées à la pression des délais. Les syndicats y voient une "culture du déni" : prioriser l'ouverture sur la fiabilité, au risque de compromettre la vie des futurs patients et soignants. L'absence de transparence alimente la défiance, transformant le nouveau CHU en symbole d'un système qui étouffe ses alertes internes.
Ces difficultés au nouveau CHU amplifient la crise actuelle. À la cardiologie, la grève freine déjà les préparatifs de transfert, avec des consultations reportées et une expertise locale (comme celle du Dr Larifla) mise à l'écart. Les ASH et brancardiers, épuisés par des rotations infernales, craignent que Perrin ne devienne un "mastodonte vide", sans embauches massives pour absorber la charge. Socialement, ce sont les Guadeloupéens les plus vulnérables – seniors, diabétiques, hypertendus – qui trinquent, contraints à des évacuations vers la Martinique ou la Dominique. Le préfet de lépoque et l'ARS appellaient au dialogue. Mais sans engagement clair sur Perrin, les tensions risquent de déborder. Inspirés par la suspension de grève aux urgences martiniquaises le 3 novembre, les urgentistes guadeloupéens pourraient voter un préavis dès aujourd'hui.
Le nouveau CHU de Perrin n'est pas qu'un chantier ; c'est un test pour la République en Outre-mer. Avec des retards cumulés, des équipements en suspens et des incidents sécuritaires tus, il incarne l'austérité imposée sans adaptation locale. Les mobilisations actuelles exigent plus qu'un pansement : un moratoire sur les mutualisations, des investissements ciblés (oxygène, sécurité incendie) et une gouvernance transparente.
Sans cela, la contagion régionale guette – intersyndicale, extension aux urgences.
Le gouvernement central, souvent muet sur ces territoires, devra choisir : ignorer les cris d'alarme, ou territorialiser enfin la santé ?
En attendant, à Pointe-à-Pitre comme à Perrin, le personnel de santé porte seul le poids d'un système au bord du gouffre.
L'enquête de l'AFA sur les atteintes à la probité en Guadeloupe, un risque pour le secteur de la santé ? Le rapport alarmant de l'Agence Française Anticorruption (AFA) publié en octobre 2025, jette une lumière crue sur les fragilités structurelles de la Guadeloupe.
Si le document cible le secteur public local dans son ensemble, ses conclusions résonnent particulièrement dans la santé : un domaine public par excellence, vulnérable aux conflits d'intérêts, détournements et corruptions.
Dans un contexte de sous-financement chronique et de retards au nouveau CHU de Perrin, cette "terre de corruption" potentielle menace de saper la confiance dans l'hôpital public antillais.